L'avers et le revers
serviettes dans ses ripailles, je consens
à donner mes raisons de cette bien petite divergence entre mon maître et moi.
Et que M. le curé se rassure, il ne trouvera point là matière à enfoncer
un coin dans cette vétille pour gâter l’admiration que je porte à Pierre de
Siorac, à son génie et à sa clairvoyance.
Il est d’abord un souvenir qui me frappe et me revient
nettement lorsque je me trouvai sur mon perchoir à observer et évaluer les
défenses de Mespech : les arbres étaient sans feuilles, ou celles-ci
étaient à peine naissantes, ce qui m’obligea à me tenir serré contre la
branche, presque collé à elle, de peur d’être vu du château. De ceci, j’en ai
la quasi-certitude et j’en conclus que nous ne nous trouvions pas au mois
d’août, mais vers la fin de l’hiver, au mois de mars, et je n’ai pas du reste
le sentiment qu’il faisait bien chaud sur cet arbre.
D’aucuns rétorqueront que ce sont là souvenances bien
fragiles, que le temps peut altérer et embrouiller dans les mérangeoises.
Certes. Mais si on considère que j’ai été jeté sur les routes du royaume à la
suite de la bataille de Vergt qui eut lieu en octobre 1562, j’affirme que je
n’ai pas passé presque onze mois à jouer le larron dans cet état pitoyable
qu’était le mien, et que cinq à six mois s’accordent bien assez avec ma
remembrance.
La vérité, si doute encore il peut subsister dans la tête de
certains, se trouve dans les Mémoires de mon maître. Ayant, selon lui, sauté
comme un singe par-dessus les murailles de Mespech vers la fin du mois d’août
1563, je n’aurais mie pu connaître les événements de l’année 1563, du moins tous
ceux antérieurs à mon arrivée. Il n’en est rien. Et ils sont légion les
événements que j’ai vécus alors que je ne devais me trouver à l’époque au
château.
N’est-ce pas Coulondre Bras-de-fer qui me conduisit avec
Marsal le Bigle à la tour nord-est en mon cachot d’un jour, comme je l’ai
rapporté ? Or, ce même Coulondre Bras-de-fer en août 1563 ne se trouvait
plus à Mespech, ayant emménagé dans le moulin de Gorenne – que la frérèche
venait d’acheter – afin que d’y faire office de meunier, avec la Jacotte du
hameau de la Volperie qu’il venait d’épouser. Et je me souviens bien des
négociations entre Coulondre et la frérèche, qui tournèrent à l’avantage du
soldat pour la raison que personne ne voulait habiter là-bas de peur d’être un
jour ou l’autre attaqué et occis par les bandes de gueux qui sillonnaient le
pays. Même que Sauveterre battit froid Coulondre pendant plusieurs semaines
pour les conditions assez à son avantage qu’il avait imposées en ce
prédicament.
Le lecteur féru des Mémoires de mon maître sait aussi bien
que moi que je n’aurais rien dû connaître de l’émotion de la Lendrevie, où le
baron de Siorac, accompagné de Pierre, Samson, et de ses vieux soldats, s’en
allèrent au risque de leur vie en la ville de Sarlat, lors aux mains des gueux
du boucher Forcalquier, pour chercher Franchou, l’ancienne chambrière de la
baronne, laquelle était enfermée dans la maison de sa nouvelle maîtresse, morte
de la peste, car on craignait qu’elle ne l’ait elle-même attrapée. Et je me
souviens bien de l’opposition résolue de Sauveterre à cette entreprise, qui
trouvait insensé que l’on risquât sa vie par deux fois, en affrontant d’abord
des gueux affamés et désespérés, prêts à tout, puis ensuite la peste que
Franchou pouvait fort bien avoir contractée, et ceci parce que le baron de
Siorac était seulement intéressé à ramener à Mespech ce joli cotillon qu’il
espérait bien chausser un jour. Et qu’il chaussa en vérité !
Il y eut aussi, et surtout, cette terrible querelle entre
Jean et Pierre de Siorac au sujet de la médaille de Marie que mon maître porte
autour de son cou en mémoire de sa mère, laquelle lui avait demandé, la veille
de sa mort, de la garder toujours ainsi. Altercation qui fut si violente, et
dont les conséquences faillirent être si graves, qu’elle mit et le père et le
fils dans un état de colère paroxysmale jamais atteint entre eux deux. Je
reviendrai sur cette grande querelle car elle révèle prou sur le caractère de
mon maître et donne à penser sur la fermeté de ses opinions et son
intransigeance quand on touche aux questions de l’honneur.
Au château, Pierre de Siorac se levait à potron-minet quand
le
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