L'avers et le revers
silence tendu où je
percevais une certaine agitation du drap qui se soulevait ou se creusait,
agitation qui s’acheva par des soupirs contenus et difficilement réprimés.
À la suite de quoi, je vis Pierre refaire le même trajet en
sens inverse, et s’immobiliser derechef pour regarder dans ma direction –
mais j’étais comme mort – avant que de se recoucher et de s’endormir bien
rapidement à ce que je pus en juger.
Je ne fus guère étonné le lendemain que Pierre demandât
qu’on changeât mon lit de place et qu’on le mît dans un recoin du couloir, non
loin de là, mais hors de la pièce. À Samson qui s’alarmait de cette exclusion,
il répondit :
— Miroul n’est pas, comme moi ou la petite Hélix,
accoutumé à tes ronflements, et je crains qu’il n’ose le dire. C’est un valet,
certes, mais ce n’est pas une raison pour le traiter mal.
— Mais je peux, en me tournant sur le côtel, dormir
silencieusement, affirma Samson qui naïvement cherchait une solution.
— C’est inutile, Samson, il vaut mieux que tu dormes
comme tu l’entends. De plus, Miroul est un domestique et je ne suis pas sûr que
ce soit une bonne chose qu’il passe la nuit avec ses maîtres.
— Mais la petite Hélix ? dit Samson étonné.
Pierre prit son air le plus innocent.
— Non, Samson, la petite Hélix, c’est différent. Elle a
été nourrie au même sein et en même temps que notre frère François. Plus tard,
moi aussi, après eux, j’ai tété la même mamelle. Qui donc songerait à oublier
qu’elle est, non pas une simple domestique, mais telle une sœur pour
nous ?
Chapitre III
Je cuide assez que le lecteur ne m’en voudra mie si je fais
ici une courte pause dans la progression de mon récit. Désireux de connaître
l’avis d’un lettré sur ces premières pages, mais renonçant par crainte de sa
réaction à les faire lire à mon maître, je m’en suis allé trouver – un peu
en cachette – le curé de notre paroisse pour lui confier mes écrits. Il
s’étonna fort de l’entreprise, la trouvant curieuse assez, et peu adaptée à un
valet dont le rôlet est de demeurer dans l’ombre de son maître, sans oncques se
mettre en avant. Ceci fut prononcé sur un ton où le reproche le disputait à la
condescendance, affirmant qu’il lirait cela très à rebelute, car il faut savoir
place garder et qu’il n’y a rien de bon à attendre quand on bouscule le bel
ordonnancement de Dieu. Tout en disant cela, il m’arracha presque le manuscrit
des mains et le fourra incontinent sous sa soutane.
Il ne me le rendit que deux mois plus tard et dans un si
triste état, souillé de larges taches de graisse et froissé assez, que ça me
porta peine et me rendit tout marmiteux. Comme je lui en demandais son avis, il
fut évasif et confus, alignant quelques phrases déconstruites, ponctuées de
latineries obscures où même un moine n’y aurait pas retrouvé ses humanités et,
l’air soudain pressé et affairé, affirma qu’il m’en reparlerait plus au
calme – nous étions seuls dans la sacristie – et que la suite
pourrait confirmer son jugement, car il n’y avait lieu à trancher d’une matière
aussi courte sans que de voir si l’ensemble pouvait ressembler à quelque chose.
La seule information qui émergea clairement de tout ce
galimatias fut énoncée au moment où il me donnait son congé pour courir je ne
sais où.
— Souviens-toi aussi, me dit-il, que tu ne dois
contester autrui que si tu apportes bien la preuve de ton différend, sans te
cantonner à énoncer que ton prochain se trompe.
Sur le coup, je ne compris pas ce qu’il entendait par là et
ce n’est qu’une fois rentré chez moi, et tout en tentant sur mon écritoire de
défroisser les malheureuses pages, que je m’avisai qu’il évoquait sans doutance
aucune la date de mon arrivée à Mespech dont j’avais écrit qu’elle ne pouvait
correspondre à celle consignée dans les Mémoires de mon maître. Que notre curé
s’attachât à des détails d’une si bénigne conséquence me désola quelque peu et
je me jurai de ne lui donner mie la suite de mon manuscrit, vu l’usance qu’il
en faisait et les recommandations qu’il prodiguait.
Cependant, pour montrer que dans la France d’aujourd’hui,
sous l’autorité de notre bon roi Henri IV, un huguenot peut satisfaire au
conseil d’un catholique, ce dernier fut-il paillard et se servant des
manuscrits qu’on lui confie comme de
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