L'avers et le revers
contrepoids au tempérament entier et impétueux de Pierre, mais il
n’était pas fait d’un silex suffisamment tranchant et, pour cette raison, était
à la fois apprécié de tous – ou presque, je reviendrai sur ce point –
mais, somme toute, je pus m’en apercevoir à maintes reprises, assez peu
considéré.
— Si notre valet veut bien nous suivre ? dit
Pierre en se gaussant, s’attirant incontinent un regard de reproche de la part
de Samson, il pourra découvrir la place qu’il occupera désormais.
— Je suis votre serviteur, Moussu Pierre, répondis-je
avec sérieux.
Et Pierre de s’esbouffer à gorge déployée. Pendant quelques
semaines, il considéra notre nouvelle relation de maître à valet comme jeu
d’enfant et me titilla sur mon rôlet de serviteur comme pour vérifier si
j’étais capable de le tenir tout à plein. Capable, je l’étais, et bien
davantage, car je vivais la chose comme une promotion, et –
pardieu ! – j’avais bien raison de l’envisager ainsi, et c’est d’une
limpide évidence pour qui a connu le triste état de paysan ou de larron.
Pierre et Samson, comme s’ils étaient deux frères de lait,
dormaient dans le même lit, mais grand assez pour qu’ils ne se gênassent pas
l’un l’autre, François ayant une chambre pour lui seul. Dans la pièce des deux
cadets dormait aussi la petite Hélix, dont le surnom avait traversé les ans,
car petite elle ne l’était point, étant de quatre ou cinq années l’aînée de
Pierre. La petite Hélix était fille de Barberine, nourrice de la baronne qui
avait donné le sein à François en même temps qu’à sa fille, puis plus tard à
Pierre.
Étant à son service, Pierre souhaitait m’avoir tout à loisir
près de lui, de jour comme de nuit, et pour cette raison demanda qu’on
installât un lit supplémentaire dans la même pièce. Pourtant, il y avait à cela
un inconvénient qu’il entrevit de suite, et auquel il remédia incontinent, d’une
façon aussi simple qu’efficace.
Le soir venu, la petite Hélix qui m’apparut en tout point
charmante, étant gaie et enjoué, bien faite et jolie assez pour qu’on en
imagine plus qu’un bon chrétien ne devrait, vint converser avec moi, me posant
mille questions sur mon histoire, et pleurant avec moi la perte de ma famille.
Puis elle alla s’allonger sous sa coite et attendit
patiemment qu’on soufflât le calel.
À ce moment, Pierre s’approcha de ma couchette alors que
Samson s’était déjà ococoulé dans son lit, allongé sur le dos, le drap bien
relevé jusqu’au menton, et qu’en moins de temps qu’il ne faut pour le dire,
s’était endormi du sommeil du juste, laissant entendre un léger zézaiement par
les narines à chaque inspiration, bien léger ronflement qui ne présentait guère
d’inconvénient.
— Dors-tu bien, Miroul ? me demanda Pierre de
Siorac. Vois-tu ce grand Samson, c’est un loir, il n’a qu’à baisser les
paupières et l’affaire est conclue, et il ne les relève qu’à la pique du jour,
sans interruption aucune.
— Je tarde à m’endormir, Moussu Pierre, et depuis le
massacre de ma famille, je ne dors que d’un œil, me réveillant au moindre
bruit, même celui d’une souris trottant sur la mousse.
Pierre se gratta la tête, l’air soudain renfrogné, me jeta
un regard auquel je ne répondis pas, ne sachant ce qu’il signifiait, ouvrit la
bouche comme s’il allait ajouter quelque chose, puis se ravisant, il se
redressa tout à plein et me souhaita la bonne nuit d’une assez roide manière.
Malgré les incroyables émeuvements de la nuit passée et de
cette longue journée qui m’avaient, comme on s’en doute, brisé comme une
assiette, je ne parvins à m’endormir, tous ces événements tournant et
retournant dans ma tête, à telle enseigne que j’avais les yeux ouverts dans la
pénombre, même si j’étais vigilant assez pour ne pas bouger afin de ne déranger
personne dans mon insomnie.
Telle ne fut pas ma surprise de voir mon maître se lever
très précautionneusement et, dans le plus grand silence, debout et immobile,
regarder quelques secondes dans ma direction – on pense bien que j’en
retins ma respiration – puis se diriger vers le lit de la petite Hélix
dans lequel il se glissa sans qu’aucun barrage ne s’érigeât contre cette
intrusion, la raison en étant qu’on devait l’y attendre depuis bien longtemps.
Il s’ensuivit quelques clabauderies étouffées, puis un
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