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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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jour-là et en
cette malaventure, il se joua prou dans la constitution de l’essence et du
caractère de mon maître, et je doute fort qu’il serait devenu ce que vous savez
s’il avait abdiqué là devant son père, renoncé à lui-même pour souffrir la
domination de son modèle, et jeté au loin cette damnable médaille de Marie. Je
m’apense en effet que c’est à ce moment précis que mon maître a cessé de n’être
qu’une séduisante et brillante imitation de son père pour devenir lui-même,
qu’il passa pour ainsi dire de Jean à Pierre, et que son prénom commença à lui
signifier quelque chose d’intelligible et de palpable.
    Mais que de souffrances pour en arriver là et le terrible
pâtiment de mon maître, qui se tenait devant nous comme un supplicié qui part à
la potence, apitoyait Samson jusqu’aux larmes qu’il ne pouvait plus contenir.
    — Je partirai avec vous, mon frère, dit Samson et ce
disant, il se leva, et ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre en pleurant
à chaudes et amères larmes.
    — Ah, mon Samson ! répondit Pierre quand le nœud
de sa gorge se desserra quelque peu, tu n’as pas à embrasser une querelle qui
mie ne te concerne. Ta place demeure céans et tu n’as pas à la déserter.
    — Si fait, Pierre, la vie me sera trop rude ici sans
toi, et le chagrin sans cesse me tourmentera et oncques ne me laissera de
repos.
    Et ils pleurèrent derechef, se donnant fortes brassées et
presque jusqu’à l’étouffement.
    — Pierre, dit Samson, avant que de partir il faut que
tu demandes pardon à notre père pour la braverie que tu lui as faite laquelle,
même contrainte et forcée par la fidélité à ton serment, reste une braverie
dont un fils doit s’excuser auprès de son père.
    Je dois avouer à ce stade de mon récit que mon maître
relucta fort à cette démarche, non pas qu’il la considérait inutile, tout au
rebours, mais parce qu’il redoutait de se trouver de nouveau face à son père,
et que cette épreuve lui faisait sans doute grand peur, vu l’état de
quasi-démence où il avait vu ce dernier peu de temps auparavant. Mais là
encore, il accepta, montrant assez qu’il désirait quitter Mespech sans l’ombre
d’une tache sur sa conscience, sans remords aucun, certain d’avoir accompli en
ce triste destin la voie simple et claire du juste.
    L’insistance de Samson à permettre cette entrevue donne à
réfléchir, surtout si on la rapproche de ce qu’il pensait de son père et qu’il
m’avait avoué peu avant, ne me déguisant rien des profonds regrets qui
assaillaient le baron dès la colère retombée et éteinte. Ce fut-il que Samson
espérait que, de cette ultime entrevue, une réconciliation effacerait la
querelle ? C’est probable en effet, et j’opine en ce sens, étant donné que
Samson était plus finement sensé que ne le pensaient ses proches, et que c’est
bien navrant qu’il fût seulement tout de bonté, comme dans les livres saints,
et ne tentât jamais de montrer autre visage, lequel eût pu lui amener plus de
considération de ses semblables.
    Comme le lecteur se le ramentoit sans doute, ce n’est pas
ainsi que cet affrontement se conclut, permettant au père et au fils de se
retrouver, au soulagement de tous. C’est Sauveterre lui-même, par de fortes et
bonnes remontrances, ne lui celant rien de son opinion, qui remit le baron en
équilibre et calma sa fureur et son ire. Et c’est lui aussi, ce rôle étant
encore au-dessus des forces de Jean de Siorac, mais celui-ci consentant à ce
qu’il fût joué par un autre, qui vint annoncer roidement à mon maître la
punition, bien légère en vérité, que celui-ci dut subir pour effacer la
braverie faite à son père – roidement en façade car Sauveterre avait été
de fait l’artisan intransigeant et généreux de la réconciliation.
     
    Vers la fin août de l’année 1563, Escorgol, lequel du haut
de son châtelet d’entrée veillait jour et nuit à la sûreté du château, annonça
un messager du lieutenant-criminel de la ville de Sarlat, M. de La
Porte. Les visites n’étant point tant nombreuses à Mespech – le baron et
Sauveterre répugnant aux grandes fêtes données par d’aucuns nobles du pays,
pour la raison qu’ils estimaient que la pécune ne devait pas se gâcher à de si
futiles réjouissances – tout le domestique accourut dans la cour, à
l’exception de Faujanet qui resta enfermé dans son atelier à cercler

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