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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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Jonas en sa
carrière ! me dit-il tandis que nous finissions notre pain et lait du
matin.
    Et il se frotta les mains comme s’il y avait là de quoi se
réjouir lors même que cette carrière est un endroit morne et sombre, minéral,
qui ne me sied guère, moi qui n’aime rien tant que nos douces collines
verdoyantes et les pâturages ensoleillés.
    — Qu’avez-vous à y faire, Moussu Pierre ?
    Mon maître point ne broncha à cette question, ce qui n’était
pas la première fois, soit qu’il n’entendît pas, soit qu’il ne désirât pas me
répondre, et j’opte pour le primo car il n’y avait guère de raison à ne
pas m’informer du but de cette visite chez notre hercule auvergnat.
    Il est rare que le baron vienne à cet horaire matitunal
prendre son déjeuner, mais je le vis pourtant pénétrer dans la salle commune,
chercher des yeux son fils, car je ne doutais pas qu’il le cherchait, et comme
tout un chacun, empoignant un quignon de pain et un grand bol de lait, se
diriger droit à la longue table et s’asseoir à côté de Pierre, si bien que je
les avais tous deux face à moi. La Maligou qui épluchait des carottes près de
ses fourneaux ne perdait miette de tout cela, comme bien on pense, sa vie étant
toute dévolue à l’espionnage, racontars et clabauderies, quand elle n’y allait
pas de la calomnie, mais d’une façon si naïve qu’elle ne s’en rendait du tout
compte.
    Le baron me fit un signe de tête puis, entourant du bras
l’épaule de son fils et lui baillant une forte brassée, il l’apostropha
joyeusement :
    — Êtes-vous bien reposé, mon Pierre ?
    — On ne peut mieux, monsieur mon père !
    — À la bonne heure, fils !
    Et le baron plongea son quignon de pain dans le lait et, le relevant
aussitôt, l’enfourna dans sa bouche, grande ouverte comme un fourneau, puis
tout en mâchant à grand bruit de mastication, promena un regard circulaire
autour de la salle commune. Il y avait céans, à l’autre extrémité de la longue
table, la Gavachette et les deux petits de Barberine, qui mangeaillaient aussi
de bel appétit tout en causant de tapageuse manière.
    — Mon Pierre, vois-tu comme est mignonnette cette
petite Gavachette ? dit soudain le baron à son fils en se penchant à son
oreille.
    — Savez-vous bien son âge et que son arrière-grand-père
vous pourriez être ? répondit mon maître en souriant.
    Le baron se redressa et, par gausserie, regarda son fils
comme si on l’avait outragé.
    — Mais l’âge ne fait rien à l’affaire ! Ai-je
l’allure d’un vieux barbon ?
    — Que nenni, monsieur mon père, loin de moi une telle
pensée !
    De fait, à le considérer avec attention, le baron qui devait
pourtant avoir dépassé la cinquantaine de quelques courtes années, portait
beau, la démarche élastique, les épaules bien découpées, le buste droit, et les
yeux vifs dans un visage où la maturité se lisait plus que la vieillesse. Il
reprit sur le ton du maître à l’écolier :
    — Cette Gavachette est jeunette, certes, mais à voir
les airs qu’elle se donne et les sourires qu’elle lance, c’est déjà une petite
femme ! Et je ne serais pas étonné qu’elle en soit plus loin que ce que
vous croyez, mon Pierre !
    Prononçant cette dernière parole, le baron me fit un clin
d’œil auquel je pris garde de ne point répondre, ne sachant quelle en était la
signification, ni s’il s’agissait là d’une allusion, moi qui oncques de ma vie
n’ai touché la Gavachette.
    — Enfin, monsieur mon père, vous vous jouez, et ne
songez pas réellement à la Gavachette ? Vous qui avez été marié, et êtes
père de quatre enfants ! répondit Pierre affectant l’offusqué.
    — Ne la faites point à la chattemite, mon fils, on
dirait le curé Pincettes du village de Marcuays, qui baisse les yeux en messe
pour mieux lever la queue en sacristie !
    À ceci, mon maître s’esbouffa tout à plein et, pour cela,
mit un moment avant de répondre :
    — Certes, mieux vaut de la franchise en ces affaires
qu’une telle sordide hypocrisie ! Pourtant, l’excès n’étant bon à nulle
chose, je persiste à penser que vous vous titillez avec cette Gavachette mais
que vous n’y songez pas vraiment.
    — En effet, mon fils, j’ai en ce moment, avec qui vous
savez, jolis bas-de-chausses à mon pied, et n’ai point besoin de cette enfant.
Votre père n’est pas l’ogre que la Maligou imagine !
    Et ce disant, il se retourna vivement,

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