L'avers et le revers
un jour mon maître, et si je ne suis
pas bien certain d’avoir compris ce trait ni ce qu’il signifie, je le vérifie
pour le travail de la terre qui m’est revenu en ma vieillesse.
Et ceci est d’autant plus étrange que nous avons de la
pécune assez, mon épouse et moi, pour nous payer ce que nous appétons au marché
de Montfort l’Amaury, et n’avons point besoin absolument de ce potager pour
survivre. Il tomberait en friche que la famine ne s’inviterait pas à notre
table ! Mais nous menons, ma femme et moi, un train de vie modeste, selon
l’us paysan, et je ne me suis jamais laissé éblouir par l’éclat de la richesse,
que j’ai pourtant approchée d’assez près.
À la vérité, la richesse m’a plus dégoûté que séduit car il
m’a semblé qu’elle pervertissait ceux qui la possédaient, et leur faisait
oublier les devoirs de l’humaine condition qui sont, comme l’enseigne la foi de
Calvin, de rester attentif à son prochain et de lui tendre la main en toute
circonstance. Or, à ce que j’en ai observé à la cour du roi de France, l’argent
a un curieux pouvoir sur ceux qui le détiennent et qui va à l’encontre de ce
que, naïvement, on pourrait supposer. Et ce pouvoir tient en une phrase :
plus l’or s’amasse dans les coffres, plus il exige d’être amassé.
Il est constant, et je l’ai cent fois vérifié chez les
grands de ce monde, que l’avidité d’en avoir plus est d’autant plus forte que
le prince est riche, comme une règle de la science que nos savants feraient
bien d’étudier, car elle s’apparente presque à une loi de la nature, tant sa
régularité est avérée. De là, j’en conclus que l’or est un poison dont il faut
grandement se méfier et qu’il ne devrait pas être détenu en trop grande
quantité par une minorité sans rien laisser, ou quelques miettes, à la multitude.
Cette minorité n’ayant qu’un seul et capital but, en empiler
encore plus, elle déploie là toute son intelligence pour y parvenir, et cela
lui est d’autant plus facile que la richesse confère tout pouvoir sur les
autres en les maintenant dans la servitude. Ce faisant, les puissants de ce
monde plongent la multitude, volontairement et sans l’ombre d’un remords, dans
la pauvreté la plus absolue, et trouvent normal qu’il en soit ainsi, se
baillant toutes sortes de justifications et bonne conscience, à commencer par
celle de leur naissance qui leur a octroyé une particule accrochée à leur
nombril. L’or donne le pouvoir, et le pouvoir de l’or, et ainsi s’accroissent
les fortunes de nos princes et princesses, prenant aux pauvres le peu qu’ils
ont pour le glisser incontinent dans leurs coffres.
Pourtant, de ce cercle infernal de l’or et du pouvoir, ils
n’en tirent que la joie malsaine de compter et recompter, et même s’ils se
ventrouillent dans le luxe et se paonnent de leurs palais, leur humeur est sans
cesse altérée par le pressant besoin d’aller ramasser d’autre argent, lequel
besoin est tout aussi irrépressible que celui de gloutir, ce qui ne les rend
pas bien heureux. Si les paysans se libéraient de cette servitude volontaire
dont parle M. de La Boétie, nul doute que ces innombrables richesses
leur seraient arrachées pour meilleure usance, car la misère est trop grande en
ce monde pour ne pas mériter diligent traitement. Encore faudrait-il trouver un
arbitre suprême, comme un parlement d’anciens domestiques, pour empêcher les
paysans eux-mêmes de s’entretuer devant tant d’or répandu.
Il est des exceptions qu’on se plaît à souligner car elles
redonnent fiance en l’homme et laissent à penser qu’un grain de sable pourrait
gripper le triste ordonnancement que je viens de décrire. De la famille Siorac
je n’ai point senti telle avidité à entasser toujours plus en les coffres de
Mespech. Certes, Sauveterre avait une tendance fâcheuse à gratter plus que
nécessaire, mais il le faisait dans une rigueur toute protestante dans le
simple but de se prémunir contre des temps difficiles, où les catholiques
cherchaient à étrangler les nôtres, et oncques n’y mit cet appât du gain qui
commandait les grands de ce monde. Et chez le baron, d’une nature généreuse,
j’y ai décerné aussi du malaise à tant détenir lors que les humbles étaient si
pauvres. Si ce malaise qui existe chez certains pouvait adroitement être
travaillé, on parviendrait – qui sait – à leur faire desserrer les
cordons de la
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