L'avers et le revers
blessure que signifiait son trépas.
D’un pas mal assuré je traversai la salle commune et
Petremol, qui s’y attardait avec Faujanet, me voyant en cette hésitante
démarche, lança à mon encontre :
— Mon pauvre Miroul, la promenade ne t’a rien accommodé
et ton visage même a jauni depuis ! Il t’en faudra bien une diète jusqu’à
demain pour te remettre !
Rien ne répondis à cela, sinon un pauvre regard, et mon
Dieu – pensai-je –, si par de simples diètes on pouvait guérir toutes
les terrestres afflictions, je cuide assez que nous serions tous aussi minces
et tranchants que la lame d’une épée !
Quand je pénétrai en la chambre où la petite Hélix reposait,
je la vis couchée sur son lit et son visage était devenu tant pâle que le cœur
me poigna. Elle me fit un bien gentil sourire mais qui eut, hélas, la
malfortune de souligner sa neuve maigreur, des yeux plus reculés en leur
orbite, des cernes sombres assez creusés, et un teint malsain, exsangue et
jaune à la fois. Du sommeil, elle ne devait plus en avoir son comptant, la
pauvrette, la douleur souvent la privant du salutaire repos et allant ainsi,
nuit après nuit, l’épuisant davantage. Décharnée, dénervée, démusclée,
dépoulpée , m’apparut-elle en ce jour, tel notre grand poète Ronsard peu
avant son trépas.
— Ne sais, petite Hélix, si ton branle de tête pourrait
supporter un air de viole ? dis-je en levant mon instrument à hauteur de
la tête.
— Rien ne me ferait plus plaisir, Miroul, me
répondit-elle, car tu me vois là un peu fatiguée et ne ferai guère d’autre
besogne ce jour d’hui que néant sur ma couche à m’ensommeiller et rêvasser.
Elle se redressa et, ajustant l’oreiller, tâcha de me
présenter une attitude plus vive, un regard plus ferme, une attention plus
soutenue.
— Sais-tu que même un médecin de Sarlat est venu pour
me voir et qu’il a dit des choses fort savantes sur mon mal et ses
causes ? ajouta-t-elle. Qui aurait pu croire que pour une simple servante
on manderait un docteur de la ville ? C’est Pierre qui m’aime, et que
j’aime, qui a convaincu Moussu lou Baron de déplacer une si importante
personne, rien que pour moi, et de si loin !
— Et qu’a-t-il dit ?
— Point n’ai compris son jargon, Miroul, c’était fort
embrouillé. Mais le baron, ensuite, m’a réconfortée, disant que même la
saignée, que le savant conseillait, n’était pas utile en mon cas, et que j’en
guérirais seule, mais que ça pourrait durer un long temps. Ah, Miroul ! Je
ne voudrais pas que ça dure trop, que j’en ai mal parfois à me couper la tête,
et que je me sens faible et superflue, à ne plus servir à grand-chose en cette
maison.
— Tout reviendra comme avant, c’est affaire de
patience ! dis-je avec un sourire, mais quand même je me tournai aussitôt,
les larmes me montant aux yeux, et j’allai ouvrir le fenestrou de la chambre
pour lui montrer le dos un moment.
Il y eut un silence jusqu’à ce que je revienne près d’elle,
et m’installant sur une escabelle je fis quelques accords avec ma viole.
— Et chante aussi, Miroul, j’aime tant ta voix quand tu
chantes.
M’éclaircissant le timbre, cherchant quelques secondes une
chanson que je ne voulais tristeuse, mais tout au rebours gaie et joyeuse, j’y
puisai en ma mémoire un vieil air qu’on chantait jadis en mon hameau.
C’est à ce joly moys de may
Que toute chose renouvelle
Et que je vous presentay,
belle
Entièrement le cueur de moy.
Les arbres par leur grant
beaulté
Se sont tresous couvers de
verd,
Les oyseyllons y ont chanté
La nuit, le jour comme il
apert.
Tout en chantant, j’observais la petite Hélix dont le regard
se perdait au loin, et dont le buste glissait doucement, s’abandonnant à la
mélodie.
L’alouette et aussi le gay
Avec la gente teurterelle
Qui à son jolly chant appelle
Le roussignol qui est tant
gay.
La porte s’ouvrit doucement et je vis Samson pénétrer en la pièce
et, sans dire un mot, tirer à lui une escabelle et, me souriant, se tenir coi à
m’ouïr lui aussi et regarder la petite Hélix. Celle-ci avait fermé les yeux et
ne s’était mie aperçue de cela, tant murée en la musique qu’elle en était
devenue son unique univers.
M’amye m’a salut mandé
Par ung messager seullement,
Ainsi qu’il m’a contremandé
Au jolly bois où il m’attend.
Je my en voys presentement
Et luy diray :
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