Le Baiser de Judas
qu’on
invitait étaient rarement très brillants, et c’était même devenu un jeu parmi
les plus moqueurs de s’amuser de leurs déclarations.
Plusieurs de ceux
qui l’avaient écouté voulurent le suivre. Le temps qu’il franchisse les
quelques mètres qui le séparaient de l’endroit où il logeait, la foule était
devenue plus nombreuse et agitée. L’homme qui les avait accueillis était un peu
perplexe.
« Tu es sûr qu’il est des nôtres ? »
demanda-t-il à Judas.
Il s’était marié quatre mois auparavant, sa
femme était déjà enceinte et il avait expliqué qu’il avait envie de prendre ses
distances avec le mouvement.
« Attirer l’attention sur ma maison de
cette façon ne me paraît pas très judicieux…
— Ne t’en fais pas : il n’a aucun
lien direct avec nous, à part moi. Mais il est de notre côté, je peux te l’assurer.
Il l’est même plus que beaucoup d’autres qui l’affichent davantage. »
Jésus, assis dans la fraîcheur de la pièce
principale, ne semblait pas faire attention au brouhaha extérieur.
« Maître, je crois qu’ils t’attendent, se
crut obligé de lui faire remarquer Barthélémy.
— Laisse-moi manger. La parole du
Seigneur patientera encore un peu. »
Il engloutit quelques figues, puis pria. Alors
il se dirigea vers la fenêtre.
« Tu ne veux pas sortir, maître ? s’enquit
Jean.
— Non. Il fait chaud, et je serai mieux
ici. Les gens entendront, et tu n’auras qu’à laisser entrer les malades. »
Des nouveaux venus vinrent s’agglomérer à la foule
déjà installée. Beaucoup étaient de simples curieux qui passaient, sans d’ailleurs
toujours s’arrêter très longtemps.
« Ça serait bien d’annoncer à l’avance
les endroits où il doit prêcher, murmura André à l’oreille de Philippe.
— Mais il ne le voudra jamais. Il suit
son inspiration et n’a pas vraiment de plan. »
Certains malades avaient réussi à venir au
premier rang, et suppliaient Jésus de leur accorder la guérison. Il en bénit
quelques-uns. Deux ou trois partirent tout de suite, assurant qu’ils se
sentaient mieux. D’autres restaient. Des cris, des « laissez passer ! »
se firent soudain entendre, suivis de protestations. Un groupe d’hommes
arrivait, portant sur un brancard un paralytique. Le bruit finit par couvrir la
voix de Jésus.
« Judas, va voir ce qui se passe. »
Judas eut du mal à percer la masse entassée
devant la porte. Aucun ne voulait céder sa place. Entre les cris des enfants, quelques
femmes hurlant et les supplications de malades, la situation devenait
incontrôlable.
« Il faudra le savoir pour la prochaine
fois : ne plus rester dans une maison où l’on peut se laisser coincer »,
dit Barthélémy.
Judas réussit tant bien que mal à faire l’aller-retour.
« C’est un paralytique, maître, il
voudrait te voir. Ses amis l’ont porté sur un brancard depuis Magdala. Tu ne
peux pas ne pas les recevoir. En plus, j’ai reconnu dans la foule plusieurs
pharisiens. Je crois qu’ils sont venus te regarder. Il faudrait que…
— Que quoi ?
— Que tu fasses un gros coup… S’ils
repartent à Jérusalem répandre ton nom…
— Judas, Judas… Je ne fais pas de “coups”,
je fais ce que Dieu veut. S’il souhaite que je guérisse cet homme, je le
guérirai. Sinon, je n’en ferai rien.
— D’accord. Mais essaie quand même. Je
vais voir comment je peux le faire entrer. »
Jésus continua à parler. Les disciples, inquiets,
se demandaient comment ils pourraient contenir les gens s’ils devenaient plus
pressants.
Soudain, un rai de lumière plus vif se fit
jour dans la pièce. Des cris jaillirent : « Attention, pas par là »,
« Sa tête, fais attention à sa tête… » Le visage épanoui de Judas
apparut par le trou qu’il venait de creuser dans la terrasse, dont le mince
torchis et le treillis de roseaux et de branchages n’avait guère résisté.
« Voilà ton malade, Jésus. »
Il fallut peu de temps pour dégager un espace
suffisant à laisser passer le malade, qui fut porté par l’escalier extérieur
menant à la terrasse et descendu dans la pièce à bras d’homme.
Il était sur un brancard de bois, recouvert d’une
couverture. Jésus la souleva : les jambes étaient minces, immobiles. Il
passa la main dessus.
« Depuis quand es-tu malade ?
— Je l’ai toujours été, maître.
— Ta foi t’a mené jusqu’à moi. La tienne
et celle de ceux
Weitere Kostenlose Bücher