Le Baiser de Judas
en profitant pour ranimer leur ardeur. Le plus difficile était d’évaluer
la fiabilité de ceux à qui il s’ouvrait, et d’éviter que l’un d’entre eux n’aille
raconter aux autorités ce qui se tramait dans la troupe. Il décida ainsi un
autre Simon, fidèle adjoint de Barabbas, à les rejoindre pour le seconder au
quotidien dans cette tâche de prosélyte. Ce Simon fit tellement peu mystère de
ses opinions qu’il fut vite surnommé « le Zélote ».
Il recevait un accueil particulièrement
favorable parmi les lévites. Il sentait en eux une masse indignée, enthousiasmée,
prête souvent à suivre le prêcheur jusqu’au bout. Et Judas savait très bien où
il comptait le faire aller.
*
* *
Jean courait devant,
jouant avec des cailloux qu’il envoyait sur la route, essayant d’en toucher d’autres.
En moins de dix minutes, trois des autres compagnons de Jésus l’imitèrent.
« La puérilité de ce gamin m’exaspère, glissa
Judas à Jésus.
— Sois indulgent, Judas. Il est jeune, et
n’a pas toujours la tête au travail. Où est le mal ? Je ne suis pas sûr de
vous guider vers des jours forcément très drôles. Alors profitons-en tant qu’il
est temps. »
Judas était de mauvaise humeur, sans bien
savoir pourquoi. Depuis le matin, la marche le fatiguait et ses compagnons
étaient vraiment trop lourdauds. Il ne se souvenait pas d’avoir été comme eux, même
avant de connaître les fastes de Jérusalem…
Avançant sur la route, ils aperçurent un petit
hameau.
« Comment s’appelle ce trou encore ?
grommela Judas. Ne devions-nous pas arriver le plus vite possible à Magdala ?
— Cela nous fera une excellente occasion
de manger un peu. N’as-tu pas faim ? Peut-être te rassasier te
redonnera-t-il cette douce humeur que tu sembles avoir perdue ?
— Ça m’étonnerait.
— Tu as prévu de quoi déjeuner ?
— Il y a du pain, quelques poissons qui
restent de la pêche d’hier. Ils ont été cuits, ils seront encore mangeables.
— Très bien. Allons vers ces arbres et
demandons à nous installer. Si cela se trouve, mes discours intéresseront
quelqu’un.
— Si cela se trouve… »
Ce doute amusé fit paraître le premier sourire
de la journée sur le visage de Judas.
Quand soudain il saisit le bras de Jésus.
« Regarde, là-bas.
— Quoi ?
— Tu ne vois pas… La cabane… c’est celle
d’un publicain. »
Les bureaux de péage étaient nombreux dans
cette zone frontalière et il y siégeait des Juifs dont la sujétion aux Romains
était totale. Les pharisiens déclaraient impur le moindre contact avec ces « vendus ».
« Regarde : il y a même des Romains
autour. C’est là qu’il faut venir déposer ses impôts. Nous ne pouvons pas nous
arrêter.
— Pourquoi non ? Ne viens-tu pas de
me dire que tu avais faim ?
— Mais ce sont des contrôleurs… Il n’y a
pas pire parmi les…
— Ne condamne pas avant d’avoir vu, Judas.
Tout le monde a ses raisons.
— Tu ne vas pas les justifier, non plus ?
— Justifier ? Non. Mais sauver l’homme
chaque fois que je le peux, si. »
Jésus et sa troupe étaient arrivés devant la
cabane du publicain.
« Bonjour.
— Salut, répondit avec rudesse le soldat
qui gardait la hutte.
— Je parcours la région avec des amis. Nous
avons faim et aimerions nous reposer à l’ombre de cet arbre. Nous y
autorises-tu ? »
Le soldat éclata de rire.
« T’autoriser à manger ici ? »
Judas avait attrapé le bras de Jésus. Il était
blême.
« Mais que fais-tu ? Tu es fou ?
Il va nous attaquer, et tu t’humilies pour rien.
— Je ne m’humilie pas, Judas. Tout ce que
je fais, c’est pour lui.
— Pour qui, lui ? Tu te jettes aux
genoux des Romains maintenant ?
— Qu’est-ce que vous dites ? intervint
à nouveau le soldat. Allez, ça suffit, dégagez. Dégagez, je vous dis.
— Qu’est-ce qui se passe, ici ? »
L’homme qui venait de les rejoindre était
richement vêtu. Petit, monté sur des sandales à très grosses semelles, il
toisait avec arrogance la troupe de vagabonds.
« Que voulez-vous ?
— Simplement nous arrêter ici pour manger. »
Judas bouillait de rage.
« Pourquoi pas ? Installez-vous. »
Ce fut au tour du soldat romain de bondir :
il n’était pas habitué à ce que ses ordres soient contredits par un Juif.
« Comment cela, installez-vous ? J’ai
déjà dit “non”.
— Et moi je dis “oui”. »
Les
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