Le Baiser de Judas
parait-il
impossible ?
— Bien sûr. Où puiser l’énergie pour se
battre ? Tu vas aller taper sur des gens que tu aimes, peut-être ? »
Judas rit tant l’idée lui paraissait absurde. Jésus
le regarda.
« Tu sais ce qui nous rapproche le plus ?
— Non.
— La colère, Judas, la colère. Elle me
prend chaque fois que je vois mon peuple bafoué, traîné aux pieds, malheureux. C’est
ce que j’ai senti en toi d’entrée : la colère. Rien ne m’irrite plus que
cette mollesse facile qui accepte tout et s’en remet au destin du soin de juger.
Ne laisse jamais retomber ta colère, Judas. »
Il se tut. Puis, souriant.
« Mais, parfois, choisis-lui d’autres
cibles. »
Il lui tendit la bourse, lui souhaita une
bonne nuit et partit s’étendre près du feu. Judas resta un moment à regarder
les étoiles.
CHAPITRE 18
Judas eut énormément de mal à s’habituer à la
présence de Matthieu. Tout en reconnaissant que le nouveau venu prenait
largement plus que sa part du travail commun et qu’il semblait réellement
transformé, preuve supplémentaire de la force de conviction de Jésus, il ne put
un jour s’empêcher de lui manifester toute la hargne qu’il peinait à contenir.
Ils étaient tous deux partis chercher du bois
sur la route de Bethsaïde. Le Jourdain était tout proche, frontière entre les
deux tétrarchies. En montant sur une colline, ils aperçurent un bureau de péage :
des bêtes attendaient, les paquets qu’elles portaient déchargés à terre, les
chameliers pestant contre les soldats qui les fouillaient.
« Comment as-tu pu faire cela ? aboya-t-il
soudain, faisant sursauter son compagnon qui laissa tomber ses fagots.
— Faire quoi ? »
Matthieu paraissait effrayé. De toute la bande,
Judas était le seul qui continuât à l’ignorer.
« Comment as-tu pu pressurer les nôtres
pour plaire aux Romains ?
— Ah, ça… »
Il était étonné, comme si celui à qui l’on
reprochait ces abus n’était plus.
« Que veux-tu que je te dise ? Depuis
que j’ai rencontré notre maître, je suis incapable de répondre à cette question.
J’ai fait le mal, et j’étais aveugle. Dès que je l’ai vu, lui, j’ai su. »
Matthieu ne dissimulait pas une adoration que
Judas trouvait ridicule. Les plus récents arrivés dans leur troupe étaient
aussi souvent les plus démonstratifs.
« Facile, comme réponse. Quand tu faisais
le mal et que tu en profitais, ça ne te gênait pas.
— C’est vrai. Mais c’est pour cela que je
suis parti. Dès que j’ai compris…
— Tu as compris quoi ? Ça t’est venu
d’un coup ? Tu étais un coupable innocent, en quelque sorte.
— Nous ne sommes jamais innocents. J’étais
coupable, mais ne le savais pas.
— Tu penses me convaincre avec ça ?
— Je me moque de te convaincre, Judas. Ma
vie a pris un nouveau sens et il suffit que ce sens m’apparaisse. Je peux être
incompris et souffrir pour ce que j’ai découvert… »
Et voilà que maintenant il jouait au martyr… Judas
se remit à ramasser du bois, découragé.
« Et maintenant, tu es prêt à t’en
prendre aux Romains, à attaquer tes anciens amis…
— Oh, mais ce ne sont pas tellement les
Romains : c’est le mal que je voudrais extirper de nos vies.
— Tu te moques qu’ils puissent continuer
à rançonner les gens avec d’autres vendus comme toi ? »
Matthieu ne réagit pas à l’insulte. Pendant
ses six ans de service comme publicain, seuls trois Juifs l’avaient salué :
les autres s’exonéraient à bon prix de leurs compromissions en lui crachant au
visage avec régularité, sous l’œil rigolard des légionnaires.
« Il y a quelque chose bien au-delà de
tes combats terrestres, Judas, et c’est cela que j’ai entrevu. Je ne me situe
plus que dans cette perspective-là. » « Pauvre illuminé », pensa
en lui-même Judas. Il n’ouvrit plus la bouche jusqu’à leur retour au campement.
Matthieu commença le
soir à écrire. Il sortait de son sac des feuilles de cuir, qui seraient ensuite
cousues en rouleau, un flacon d’encre et un roseau taillé.
« Que fais-tu ? lui demanda Judas.
— Je prends note des paroles du maître. »
Judas haussa les épaules.
« Et à quoi cela va-t-il servir ? Nous
sommes deux à savoir lire ici, et guère plus dans ce pays. Tu ferais mieux d’aider
à préparer le feu. »
Mais Matthieu s’obstina, énervant encore plus
Judas.
La guérison de la
Syrienne
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