Le Baiser de Judas
réactiva sa colère. Un char tiré par quatre bœufs, un jour, divisa la
foule entourant le prêcheur. Un homme en descendit. Il alla trouver Jésus.
« Ma maîtresse est dans ce chariot. Elle
est très malade. Elle voudrait que tu la voies.
— D’où venez-vous ?
— Ma maîtresse est de Syrie. Nous
arrivons de Césarée, où elle était allée voir sa sœur et nous rentrons chez
nous, à Jérusalem.
— Et vos nombreux dieux ne peuvent rien
pour vous ? » lui lança Judas, déclenchant immédiatement les rires de
la foule.
Tous s’attendaient à ce que Jésus renvoie le
messager, et la plupart se frottaient déjà les mains à l’idée de la déconvenue
d’un gentil. Mais il tendit la main.
« Respectez cet homme. S’il ne croit pas
comme nous, il croit, et se dévoue pour les siens. Ceci mérite-t-il d’être
ainsi raillé ? Il serait indigne de notre part de l’abandonner. »
Jésus se dirigea vers le chariot. Une femme d’une
cinquantaine d’années se tenait le ventre en sanglotant. Les curieux s’approchant
trop nombreux, il demanda au cocher de les tenir éloignés, et héla Simon.
« Amène-moi la mandragore. Dans mon sac. »
Simon apporta le sac. Jésus en sortit une
plante qu’il avait laissé sécher. Le gaz qui s’en dégageait avait un effet
anesthésique et la femme, sans s’endormir, parut d’un coup plus sereine. Il
demanda aussi du vinaigre, dont il se servait pour diluer ses médicaments. Quand
il sortit, il annonça tranquillement aux serviteurs sa guérison.
« Vous pouvez y aller. Elle est guérie. »
Les disciples se pressèrent autour de Jésus.
« Tu l’as convertie ?
— Pourquoi l’aurais-je fait ? La
vérité vient à ceux qui la cherchent. Elle ne s’impose pas.
— Pourquoi l’as-tu guérie alors ?
— Devais-je la laisser souffrir ?
— Mais elle n’est pas juive.
— Le royaume de Dieu n’est pas ouvert qu’aux
Juifs. Je suis venu aussi pour dire cela : les gentils y ont leur place.
— Les gentils… ? Hier, c’étaient les
femmes. Et demain, ce sera qui ? Les Romains, peut-être… »
Judas éclata d’un rire amer.
« Peut-être, Judas, peut-être. Je te l’ai
dit : mon père vous demande d’aimer ses ennemis, tous ses ennemis. Le
royaume de Dieu s’étend partout, dans le temps et dans l’espace. »
Judas devait bien reconnaître que Jésus, en
effet, parlait à tout le monde. De plus en plus, dans les rangs de ceux qui l’écoutaient,
se glissaient des païens, des Iduméens et même des Samaritains…
« Pourquoi
as-tu guéri cette femme ? ne put-il s’empêcher de redemander le lendemain.
— Parce qu’elle en avait besoin.
— Mais pourquoi elle ? Si tu peux
aussi facilement guérir l’un de ces malades, pourquoi ne profites-tu pas de tes
pouvoirs pour frapper un grand coup et terroriser nos ennemis ?
— Je ne fais pas des tours de magie. Seule
la parole de Dieu donne son sens à mes actes, et Dieu ne veut pas que j’écrase
les hommes sous son pouvoir. Cela serait les insulter que de leur refuser jusqu’au
bout leur choix.
« Vous vous égarez tous en me croyant
capable de transgresser les règles de la création. Vous vous extasiez quand je
redonne la vie à un mort, sans vous émerveiller devant une naissance. Vous
clamez que j’ai nourri cinq mille hommes avec cinq pains, et vous regardez sans
frémir pousser le grain et germer la plante. Vous racontez que j’ai changé l’eau
en vin, et vous n’êtes plus éblouis quand la terre et la graine se changent en
vigne… Qu’est-ce qui est miracle ? Le monde est le vrai miracle. Regardez-le
et cessez de chercher dans ce que je fais les preuves d’autre chose. La vie est
le miracle. L’habitude a tué chez vous l’émerveillement. Que devrai-je feindre
encore pour le ressusciter ? »
Le bruit des algarades
avec les rabbins, l’espoir des guérisons, la puissance du discours de Jésus
faisaient grandir son influence de jour en jour. Il y avait maintenant souvent
une centaine de personnes autour de lui. Les repas, quand il y avait de quoi
garnir la table, étaient joyeux : si Jésus était capable de supporter sans
rien dire bien des privations, il était aussi ravi quand il y avait abondance
et était loin d’être le dernier à lui faire honneur. Mais le quotidien était
assez misérable, et ils avaient faim régulièrement.
Ce succès ne passait pas non plus inaperçu des
concurrents de Jésus. Un jour où Pierre
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