Le Baiser de Judas
pouvaient embarquer avec
le maître que certains se précipitèrent à pied vers l’autre rive, là où Jésus
devait accoster.
La traversée fut plus longue que prévu, le
vent ne soufflant que très modérément : il fallut même mettre en branle
deux grosses rames pour parvenir à destination. En arrivant, ils s’aperçurent
que de nombreux fidèles les attendaient. Judas tenta de les compter : il y
avait plusieurs centaines de personnes, peut-être même un bon millier. Jamais
encore une aussi grande foule n’avait suivi Jésus.
Le prêcheur sauta sur la berge. Immédiatement,
Judas envoya une dizaine de disciples l’encadrer et contenir les auditeurs. Jésus
commença à parler, tout en marchant, et arriva à une dune située en arrière de
la plage. Là, il monta et, quand il eut dominé ses admirateurs, força le ton. Il
parla longtemps, à peine interrompu par quelques réflexions et les ricanements
d’une bande de jeunes que leurs aînés firent vite taire.
La nuit tombait. Depuis une heure, des gens
ramassaient du bois et creusaient des trous dans le sable. Mais il était de
plus en plus difficile aux apôtres de maintenir l’ordre. Certains enthousiastes
scandaient le nom de Jésus, d’autres s’avançaient jusqu’aux premiers rangs pour
essayer de le toucher. Une gaieté paisible régnait.
Bientôt, les feux s’allumèrent, et ce fut
comme une série de trouées dans la foule. Jésus cessa de parler. On n’entendit
plus que le crépitement du bois, et une paix qui ne semblait plus devoir finir
s’étendit sur la scène.
« Maître, je crois qu’ils ont faim, mais
nous n’avons que cinq pains et deux poissons. Le premier village est à plus d’une
heure de marche, et les rares marchands ambulants n’en auront jamais assez. Il
serait peut-être temps de les disperser. »
André et Barthélémy étaient passés dans les
premiers rangs, collectant à la fois des questions que certains voulaient poser
à Jésus et quelques donations.
« Donnez-leur à manger, répondit Jésus.
— Tu ne m’as pas compris : nous n’avons
rien.
— Demandez à Judas combien il y a dans la
bourse. »
Jésus parlait lentement. Une curieuse langueur
s’était emparée de lui.
« Maître, insista Judas, venu en renfort,
les premiers rangs réclament à manger, et je suppose qu’il en est de même des
derniers.
— Combien d’argent as-tu ?
— Pas beaucoup. Quarante deniers, à peu
près. Ils sont plus attentifs que généreux, aujourd’hui.
— Il en faudrait au moins deux cents, s’exclama
Barthélémy. Et, de toute façon, où trouverions-nous quelque chose à acheter ?
— Donne-leur nos pains et nos poissons.
— Mais il n’y en a même pas assez pour
nous…
— Donne-leur, je te dis. »
Jésus s’assit, les disciples autour de lui, et
commença à couper les pains et à arracher quelques lambeaux de chair aux
poissons. Puis il regarda la foule, leva un morceau de nourriture vers elle et
le donna au disciple à côté de lui.
Alors, du premier rang, un homme se leva. Il
ouvrit sa besace, en sortit des figues et du fromage et commença de les
distribuer autour de lui. Un peu plus loin, une femme ouvrit sa robe et en tira
une miche de pain qu’elle fit passer autour d’elle, avant même de s’être servie.
Un marchand replia son étal, quelques feuilles sur lesquelles il avait disposé
une dizaine de poissons, et les fit passer autour de lui. Petit à petit, de
tous les rangs, des gens se levèrent, des sacs s’ouvrirent, des vendeurs
offrirent leurs réserves. Vers le fond, là où les gens y voyaient mal, on commença
à crier au prodige. Judas, qui entendait les cris, se tourna vers Jésus avec un
sourire.
« Ça y est : encore un miracle…
— N’ont-ils pas raison ? Ils sont
venus, fermés, égoïstes, certains cherchant seulement à gagner un peu d’argent,
et ils sont là, prêts à partager, à donner ce qu’ils comptaient vendre. Je
serais heureux si tous les jours je réussissais un miracle comme celui-ci. »
À Magdala, ils
apprirent en arrivant qu’un magicien grec venait de quitter la ville. Un homme
s’approcha d’eux.
« Le Grec a guéri une petite fille. Fais-en
autant. Ne laisse pas un étranger faire de plus grands miracles que toi, un
Juif.
— Que veut dire un miracle fait par un
Grec ? cria Thomas en se précipitant sur le plaignant. Ne sais-tu pas qu’un
miracle ne vaut que s’il confirme la Torah ? »
L’homme
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