Le Baiser de Judas
Nathanaël,
déplorait de ne point avoir maîtrisé.
« Avez-vous tous déjà semé ou vu semer ? »
leur dit-il ce jour-là.
L’assemblée, constituée de pêcheurs et de
paysans, éclata de rire.
« Quand vous lancez des graines, certaines
graines tombent sur le chemin et sont mangées par les oiseaux. D’autres tombent
dans des terrains pierreux. Les grains poussent trop vite, n’ont pas assez de
racines et sèchent parce qu’ils ne peuvent résister au soleil.
— Toi, au moins, tu nous parles de ce que
nous connaissons, lui lança un homme, que les autres approuvèrent à grands cris.
— D’autres tombent parmi les épines. Elles
meurent. Mais quelques-unes tombent dans la bonne terre. Alors elles poussent
et donnent des grains. »
La foule attendait une conclusion. Jésus, d’un
coup, leur jeta :
« Comprenez si vous pouvez. »
Barthélémy et Philipe se regardèrent.
« Tu vas voir, il ne va pas leur
expliquer… Pourquoi les laisse-t-il ainsi, perdus ? »
Effectivement, Jésus était reparti sur autre
chose. Un grognement d’insatisfaction parcourut la foule.
Le soir, Barthélémy eut la franchise de
confesser son incompréhension.
« Je n’ai pas saisi cette histoire de
moisson. Pourquoi ne parles-tu pas plus clairement ?
— Parce que vous, mes élus, avez le droit
de comprendre le royaume des cieux. Les autres ne l’ont pas. Je leur parle en
employant des images parce qu’ils voient sans voir.
— Mais à quoi sert un langage que
personne ne comprend ? reprit Judas.
— Celui qui entend la parole de Dieu et
la refuse est comme le grain qui tombe au bord du chemin. Le grain qui tombe
sur le sol pierreux provoque la joie chez celui qui l’entend, mais ne s’installe
pas en lui et n’aboutit à rien d’autre qu’à ce moment. La plupart de ceux qui m’écoutent
sont ainsi. Celui qui reçoit le grain dans les épines est celui chez qui la
dureté de la vie étouffe toute autre préoccupation. Ceux-là aussi sont trop
nombreux, et ce sont eux que nous devons délivrer. Enfin celui qui reçoit la
parole et la comprend, c’est le grain qui tombe dans la bonne terre. C’est vous,
je l’espère. »
Il s’arrêta avant de reprendre.
« Non, j’en suis sûr. »
La présence des
femmes autour d’eux provoquait de plus en plus de scandale. Elles étaient là, les
suivant, certaines visiblement amoureuses, d’autres plus discrètes, mais toutes
traitées sur un pied d’égalité avec les hommes. Ce mélange choquait alors que les
synagogues maintenaient une séparation. Jacques se fit rabrouer le jour où il
essaya de convaincre Jésus de les éloigner de lui car on ne savait pas
lesquelles d’entre elles étaient impures et lesquelles ne l’étaient pas.
« Tu veux que je charge l’un d’entre vous
de le vérifier ? » lui demanda-t-il, irrité.
La première fois que Jésus avait invité l’une
d’elles à manger avec eux, Pierre à son tour s’était insurgé.
« Mais, maître, les femmes mangent après
les hommes…
— Cette femme n’a-t-elle pas comme toi
marché toute la journée ?
— Si, mais…
— N’a-t-elle pas comme toi écouté ma
parole et choisi de me suivre ?
— Bien sûr, mais…
— Alors laisse-la profiter de la
récompense comme elle a souffert de la peine. »
Pierre s’assit en râlant.
« Et comment peuvent-elles rester à leur
place si on leur fait croire que tout leur est permis ? grommela-t-il.
— Pierre… le reprit Jésus.
— Oui, maître, j’entends, j’entends. »
Et le colosse n’ouvrit plus la bouche jusqu’à
la fin du repas.
Pierre, qui semblait parfois, malgré la
distance que maintenait ce dernier, chercher en Judas des réponses qu’il
peinait à trouver seul, lui confia son désarroi.
« Je ne comprends pas bien ce que veut
Jésus. Depuis le début, il nous dit qu’il n’est pas venu abolir la Torah, mais
l’accomplir. Très bien. Mais pourquoi alors refuse-t-il de dire qu’il est le
messie ? Et s’il ne l’est pas, pourquoi dit-il si souvent “je” ? Hier,
il nous a demandé : “Ne mettez pas le vin nouveau dans de vieilles outres.”
Qu’est-ce que ça veut dire ? De ne pas respecter la Torah ? Mais
alors pour suivre quoi ? Qui ? Lui et ses miracles, ses miracles dont
il ne veut pas que nous parlions ?
— C’est vrai, intervint André, qui
écoutait. Il dit ne pas vouloir retrancher une lettre de la Torah, et il envoie
le sabbat par-dessus
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