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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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marbre, des chapiteaux à peine sculptés. Le
roucoulement des colombes était couvert par les mugissements des bœufs et le
brouhaha des pèlerins qui marchandaient et changeaient contre les
indispensables pièces en bronze juives deniers romains, starènes grecques ou
zouzim phéniciens. Par terre, il fallait éviter les flaques de sang parfois
figées des animaux sacrifiés. Une lourde odeur de graisse brûlée régnait. Le
soleil tapait si fort qu’une femme, une Grecque, était tombée frappée d’insolation.
Deux des gardes du Temple avaient essayé de la soulever, mais elle était trop
lourde pour leurs quatre bras et ils cherchaient du regard dans la foule
indifférente de l’aide.
    Soudain, sans prévenir personne, Jésus se
précipita sur une table de change et la renversa, hurlant :
    « La maison de mon père n’est pas faite
pour le commerce. »
    Le marchand le regarda, éberlué. Judas vit
tout de suite le parti qu’il pouvait tirer de la situation.
    « Vite, protégez-le », cria-t-il à
ceux qui entouraient Jésus.
    Les hommes se groupèrent aussitôt autour de
leur chef qui, pris de rage, renversait une deuxième table.
    « Vous avez transformé la maison de mon
père en maison de voleurs », continuait Jésus. D’une main, il jeta à terre
une caisse de pigeons qui s’envolèrent, battant timidement des ailes au-dessus
de la scène, peu habitués qu’ils étaient à la liberté.
    Alors ce fut la ruée. Deux des marchands, furieux,
voulurent s’en prendre à Jésus, mais l’un de ses compagnons l’arrêta. Le
premier coup de poing partit. Le groupe entier se mit alors à renverser les
tables, faisant un bruit que Jésus peinait à couvrir de sa voix :
    « Sortez de la maison de mon père, sortez
tous. »
    L’un des apôtres avait arraché à un marchand
de bestiaux son fouet de corde et l’avait donné à Jésus, qui en avait foudroyé
quelques fragiles étals. Attirés par le bruit, les fidèles s’attroupaient. Quand
ils réalisèrent que des tables renversées roulaient les pièces d’or des
changeurs, ils se précipitèrent, et la mêlée devint incontrôlable.
    Du haut du Temple, la police vit le désordre
et s’apprêta à descendre.
    Judas, qui la guettait du coin de l’œil, s’aperçut
de son arrivée.
    « Il va falloir se replier », dit-il
à Barthélémy.
    Autour d’eux, des badauds commentaient l’incident,
croyant qu’il s’agissait d’une dispute provoquée par un pèlerin désireux de
sacrifier un animal et indigné par les prix scandaleux que pratiquaient les
marchands à l’intérieur de l’enceinte sacrée.
    La police avait du mal à se frayer un passage.
En quelques minutes, le terrain de change était devenu une foire d’empoigne. Les
gardes n’étaient qu’une dizaine. Dès qu’ils séparaient deux personnes, deux autres
se battaient. L’un d’eux reçut un coup et, en fureur, fonça dans le groupe.
    Jésus s’était dressé à nouveau pour invectiver
les prêtres et les marchands. De minute en minute, de plus en plus de monde se
joignait à lui et criait son nom, car il avait été reconnu. Judas l’empoigna.
    « Viens, il faut partir, ou tu seras
embarqué. Allez, viens. »
    Il se tourna vers la foule.
    « Retenez les soldats. Nous partons. »
    Arrivés en renfort, les légionnaires
échouaient eux aussi à percer la masse des pèlerins. Deux d’entre eux avaient
été désarmés. Ce fut miracle si le sang ne coula que de quelques arcades
éclatées.
    Jésus et les siens furent vite dehors. Un rire
inextinguible les secoua alors qu’ils fuyaient dans les ruelles, bousculant les
gens. Par chance, ils ne croisèrent aucune patrouille, et purent regagner la
maison. Judas y tomba dans les bras de Jésus.
    « Tu vois. Ça y est ! Ils nous ont
tous suivis. La ville sera à nous quand nous le voudrons. Demain, après-demain,
il faudra agir. Nous avons des amis partout, et la foule est prête. Ah, Jésus… Je
savais que nous y arriverions. C’est la fin de l’oppression. »
    Jamais Judas n’avait été aussi heureux. Il se
précipita en cuisine activer le repas pour les combattants affamés.
    Le lendemain, Jésus
était fiévreux, comme si le temps lui manquait. Il voulut aussitôt retourner au
Temple et avait même, geste rare chez lui, mis son talit et ses tefillin. L’idée
fit bondir Judas et Simon.
    « Tu es fou. Ils vont te reconnaître tout
de suite, et t’emprisonner. C’est trop tôt. Attends encore un jour ou deux.

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