Le Baiser de Judas
Affirmait-il
l’inverse, à savoir que la terre d’Israël, qui était à Dieu, devait Lui rester ?
Nul n’aurait pu le dire, et la foule qui était pourtant prête à défendre le
prêcheur contre ceux qui auraient voulu le mettre à mal, se sentait flouée. À
partir de ce moment, la réunion tourna court. Les pharisiens ne savaient plus
trop que dire. Les auditeurs, déçus, commencèrent à se disperser. Jésus, lui
aussi, eut soudain l’air fatigué, et il conclut rapidement avant de s’en aller.
Judas se sentait mal
à l’aise. Qu’avait voulu dire Jésus avec cette dernière phrase ? Depuis qu’ils
étaient à Jérusalem, il avait en permanence l’impression que son ami fuyait. Bien
sûr, il y avait eu cette attaque contre les marchands la veille, mais n’était-elle
pas un feu de paille, un mouvement de colère finalement absurde qui n’avait
servi qu’à braquer les autorités et à les contraindre à se cacher avec encore
plus de précautions ? Judas n’arrivait plus à cerner Jésus. Il voulut
aller lui demander des explications. Il se heurta à un mur. Jésus lui parut
incohérent, absent. Quand il tenta de lui faire expliquer sa phrase, celui-ci
prétexta sa fatigue et la prière qu’il devait faire. Judas sortit furieux. Son
allégresse de la veille était retombée, et il lui fallait lutter contre le
pessimisme qui l’envahissait.
*
* *
Judas trouva le
lendemain le temps d’aller à la tour de Siloé. Le monument était en miettes. La
poussière déplacée par sa chute avait blanchi les arbres alentour. Le bélier
utilisé par les Romains gisait encore à terre, son extrémité salie par la
pierre écrasée. Y avait-il toujours des corps sous les décombres ? Sans
doute, mais les soldats qui empêchaient les curieux d’approcher ne semblaient
plus rien faire pour les dégager.
Il tenta de mieux comprendre ce qui s’était
passé, n’obtenant que des témoignages imprécis : des bruits de combats, l’arrivée
des Romains et, très vite, l’effroyable fracas de la tour s’écroulant, le lent
dégagement des corps parmi les cris des blessés, et maintenant la rage d’emprisonner
les fautifs…
Judas n’apprit ce qu’il était advenu de
Barabbas qu’en rentrant, par la bouche de Menahem, qui vint le retrouver chez
Caleb.
« L’émeute a encore plus mal tourné que
nous ne le pensions. Ils ont capturé Barabbas. »
Judas pâlit.
« Tu en es sûr ?
— Un des nôtres est domestique au fort
Antonia. Il l’a reconnu, mais n’a pu lui parler. Pour l’instant, les Romains n’ont
pas réalisé qui il est, mais tout sera à craindre dès qu’ils l’auront identifié.
— Et il sera alors encore plus difficile
de le délivrer. Nous devons faire quelque chose.
— C’est pour ça que je suis venu te voir.
Les chefs du mouvement se réunissent ce soir. Il faudrait que tu viennes.
— Où est-ce ?
— Le lieu n’est pas encore fixé. Je t’attendrai
à côté du temple d’Esculape dans une heure.
— J’y serai. »
En s’y rendant, Judas, qui était venu avec
Simon, était passé près de la colline du Golgotha. Une dizaine de corps étaient
déjà cloués sur des poutres, l’un d’eux attaché directement aux branches d’un
olivier.
Ils se retrouvèrent
dans la cave de la maison d’un pharisien, près de la porte des Eaux. Il y avait
une dizaine d’hommes. Rien d’autre ne semblait les unir que leur but commun. Judas
n’en connaissait presque aucun : Barabbas avait cloisonné l’organisation
de telle façon que, sans lui, elle fonctionnât difficilement. Les premières
heures se passèrent en épuisantes reconnaissances de légitimité. Puis la
gravité de la situation l’emporta sur les querelles, et ils reconnurent l’autorité
de deux hommes : Judas et un grand zélote brun, maigre, mais à la voix
forte et au charisme impressionnant nommé Azvi.
L’idée d’une délivrance armée fut envisagée, mais
le projet parut vite irréalisable : le fort Antonia était imprenable, et
le mouvement trop affaibli. Diverses autres idées, parfaitement contradictoires
(lancer une nouvelle émeute, attendre le procès de Barabbas, retourner dans le
désert) furent étudiées quand Azvi, l’air chafouin, prit la parole.
« Nous tournons en rond. Je ne vois guère
qu’un seul moyen…
— Lequel ?
— Les Romains ne savent ni comment l’action
a été menée ni qui en est responsable. Si nous leur fournissions un coupable,
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