Le Baiser de Judas
sordide.
Ils acquirent assez
vite la technique nécessaire à un bon usage du couteau. Cela fut plus long pour
le glaive, qu’ils maniaient à deux. Le deuxième jour, trop ardent sans doute, Judas
entailla profondément le bras d’un de ses camarades. Une autre fois, il ébrécha
un glaive. La réprimande fut plus sévère encore, tant les armes étaient rares.
« Tu dois faire attention à ton glaive
autant qu’à ta vie. Toi, on pourra te remplacer. Pas lui », lui lança
durement Ézéchiel.
La pénurie était grande. Il n’y avait qu’une
dizaine d’épées pour une quarantaine d’hommes, plus des armes artisanales :
un couteau par personne, des frondes et des arcs que certains passaient leurs
journées à préparer, allant choisir le bois, le faisant sécher, le tendant et l’assouplissant,
puis l’adaptant à différents types de flèches ou de cailloux.
Arme légère, évidente, aux munitions toujours
disponibles et capables de fracasser un crâne, la fronde allait se révéler
irremplaçable face aux lourds équipements romains. Tous les enfants s’en
étaient déjà servis pour abattre des oiseaux et certains s’étaient illustrés
tout petits par leur habileté. Nathanaël et Barthélémy avaient élaboré une
méthode de tir à deux coups : dès que la première pierre était partie, ils
rattrapaient la fronde dans sa course descendante, y glissaient au passage un
deuxième caillou et le lançaient. Au début, le premier projectile perdait en
précision et le second glissait souvent de son logement. Mais, une fois la
technique maîtrisée, ils pouvaient assurer tout tir un peu faible par un autre,
qui achevait sans encombre la proie déjà étourdie.
Ils s’entraînèrent jusqu’à la lassitude. Judas,
qui maniait parfaitement le couteau et la fronde, moins bien le glaive, ne
comprenait pas pourquoi on continuait de le forcer à éventrer des mannequins. À
cet apprentissage technique se joignait un entraînement musculaire conséquent :
courses le long de la montagne, marches d’endurance, tractions, escalade. Ils
apprirent également à se repérer dans l’entrelacs des grottes et des gorges où
ils devraient se terrer dès que les opérations auraient repris. Judas, qui ne s’était
pourtant jamais laissé allé à l’indolence, sentait son corps se transformer, se
durcir, grandir. Il repensait, quand il arrivait à se voir dans une mare ou un
seau d’eau, aux moqueries dont on l’accablait enfant et en riait d’aise. Il lui
semblait pouvoir aller plus loin, plus longtemps. Il aimait particulièrement
courir, était vite devenu le meilleur de son groupe et allait souvent jusqu’au
bout de l’effort, jusqu’à ce moment où, dépassant la fatigue, il se mettait à
avancer mécaniquement.
Il franchit un autre pas, plus mystérieux, quand,
un matin, il trouva sa tunique mouillée d’une étrange liqueur, qui durcissait
le tissu en séchant. Il en parla, suscitant chez ses compagnons à la fois de
gros éclats de rire et une sorte de complicité à laquelle il fut sensible. Deux
jours plus tard, Aaron lui montra comment renouveler cet effet avec sa main. Le
plaisir qu’il en tira lui sembla ne rien avoir en commun avec ce que son
camarade lui avait décrit. De temps en temps pourtant il y céda, surtout quand
tout le groupe des garçons, se laissant aller à des rêveries entretenues par
Jérémie, conteur fort doué, s’y livrait de concert dans l’ennui des longues
soirées. Mais jamais, même dans ses moments de grande solitude, il n’accepta
que quelqu’un d’autre ne le touche, situation sur laquelle beaucoup étaient
moins stricts.
L’entraînement dura
encore un mois interminable jusqu’à ce qu’un soir Judas entende les mots qu’il
attendait depuis si longtemps. Barabbas, rentré depuis deux jours d’un de ces
voyages dont il ne parlait à personne, prit à part le garçon.
« Je t’ai regardé te battre. Je crois que
tu es prêt. Tu vas pouvoir passer à l’action. »
CHAPITRE 5
Ils étaient postés depuis deux heures sur la
crête quand, enfin, un peu de poussière à l’horizon indiqua l’approche de
plusieurs cavaliers.
« Ce sont eux. »
Barabbas se retourna et grogna. La position
allongée le fatiguait, et il éprouvait sans cesse le besoin de bouger.
Judas était immobile à ses côtés.
« Ils sont six, autour d’un chariot, décrivit-il.
Les cavaliers sont des Romains.
— Regarde bien le conducteur. C’est lui
que nous
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