Le Baiser de Judas
qui
était devenu routinier.
Les dernières heures furent les plus
difficiles. Ils attendaient en ville, dans une auberge où ils n’osaient ni
parler trop fort ni boire. Judas se sentait presque comateux. Il sortit, s’approcha
du puits, se rinça la bouche et but. Quand la nuit tomba, un sursaut d’énergie
lui vint, sans pour autant gommer sa peur.
Ils approchèrent de la maison où Joël et son
chargement s’étaient abrités, laissant leurs montures attachées à des acacias
non loin de là. La lune était faible et voilée, et le noir de la nuit les
protégeait. Barabbas y vit un bon présage.
Ils se cachèrent des deux côtés de l’entrée. Moishé
frappa à la porte. Tout se passa ensuite très vite. La voix d’un des soldats se
fit entendre.
« Qui va là ? »
Moishé répondit en un latin impeccable la
phrase qu’il avait répétée jusqu’à en gommer tout accent.
« Je suis un envoyé de Lucius. Ouvre. »
La porte s’entrouvrit. Moishé sortit son couteau
de sa ceinture et poussa d’un coup violent de l’épaule. Les quatre autres se
ruèrent. Quand ils arrivèrent dans la cour, le corps du Romain gisait, agité de
soubresauts. Jérémie et Isaac se précipitèrent vers la pièce d’où sortait l’autre
soldat, alerté par le bruit, et furent sur lui avant qu’il ait pu crier. Nathanaël
était parti en sens inverse, vers la terrasse, Judas sur ses talons.
« Va par là. »
Il lui désigna la chambre où le collecteur
était logé avant de se diriger, lui, vers celle du maître de maison.
La porte n’était pas fermée, et l’homme venait
de se réveiller quand Judas entra.
« Que… Qu’y a-t-il ? Qui es-tu ? »
parvint-il à bredouiller.
Judas se précipita. Il eut le temps, en se
jetant sur le lit, de renifler l’haleine âcre de l’homme mal réveillé, de
sentir la chaleur du corps qu’il écrasait. Avec son couteau, il frappa, sentit
une résistance et appuya plus fort. D’un coup, la résistance disparut et un
liquide chaud englua ses doigts.
L’homme poussa un petit cri pitoyable, comme
celui d’une souris qui se ferait attraper. Mais il eut la force de repousser
Judas, et de tomber du lit. Judas pesta, et lui sauta à nouveau dessus. Il
tentait de l’immobiliser, mais l’autre bougeait de plus en plus, cherchant à le
repousser. Plusieurs fois, ils s’enlacèrent et se séparèrent, en un ballet
ridicule. Le sang qui coulait de la blessure du percepteur commençait à inonder
le sol, et ils glissaient dedans sans pouvoir se rattraper.
Judas croisa le regard de son adversaire, terrorisé,
même plus capable de crier. Joël était blême, les yeux hagards, les mains
battant furieusement devant son visage. Il tentait de dire quelque chose, mais
aucun son ne franchissait ses lèvres.
D’un coup de pied, soudain, il tapa dans le
couteau de Judas, qu’il envoya loin. Judas alors lui mit un coup de poing, qui
lui projeta la tête en arrière, puis lui entoura le cou avec ses mains. Mais
ses pieds glissaient dans le sang, lui interdisant d’affermir sa prise. Une
odeur écœurante monta, et il réalisa que sa victime, de peur, se vidait les
entrailles.
Il serra encore. Le percepteur commençait à
suffoquer. Son bras griffait celui de Judas, ses yeux gonflaient et son teint
virait au bleu.
Judas avait mal aux doigts à force de serrer. Il
faisait tous les efforts possibles pour éviter que son pied ne glisse, sentant
la crampe qui montait. La respiration de sa victime devenait plus chuintante, moins
régulière. Il sentit enfin un ramollissement du corps qu’il tenait, et relâcha
sa pression. À ce moment, Joël parut reprendre vie et, avec une grande
inspiration, il rechercha de l’air. Judas dut à nouveau resserrer sa prise. Il
ne cessa que quand le corps fut resté immobile pendant plusieurs minutes.
Il se dégagea. Le bas de sa robe était trempé
de sang, et les excréments qu’il avait piétinés s’étaient glissés dans ses
sandales. L’odeur lui faisait tourner la tête. Il s’appuya contre le mur, vomit
plusieurs fois, jusqu’à ce que son estomac refuse de lâcher autre chose que de
la bile. Puis il sortit.
La scène qui lui avait semblé se prolonger des
heures n’avait en fait duré qu’une dizaine de minutes. Suffisamment pour que
ses compagnons soient inquiets, pas assez pour mettre en danger l’expédition. Nathanaël,
qui l’attendait dehors, regarda Judas. Dès qu’il le vit, il comprit son émotion.
« C’est
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