Le Baiser de Judas
devons attaquer. Il est collecteur d’impôts. Son père est un Romain, et
a épousé une des nôtres. Ils ont eu trois enfants, dont celui-ci est l’aîné. Il
n’a jamais fréquenté les cercles juifs, je ne suis même pas sûr qu’il soit
circoncis. Il célèbre sans doute les dieux païens. »
Barabbas n’en savait absolument rien, mais
attisait la haine de Judas.
« C’est avec lui que nous allons faire un
exemple. »
Il s’arrêta un instant, regarda Judas.
« Que TU vas faire un exemple. »
Alors Judas comprit.
« Tu veux que je… que je le tue ?
— Cela te pose-t-il quelque problème ? »
L’adolescent se sentit glacé.
« Non, non. Je… Je suis venu avec vous
pour cela.
— Alors regarde-le bien pendant qu’il
passe. Il s’appelle Joël. »
Judas scruta l’horizon. La petite troupe se
rapprochait.
« Cet argent a été volé aux nôtres. Il
nous le faut. »
Mais Judas n’écoutait plus. Il regardait, immobile,
le convoi qui approchait, tentant de fixer dans sa mémoire des traits qu’il
était de toute façon trop loin pour discerner. Il se réjouit de cet anonymat, qui
lui interdisait de mettre un visage sur sa victime.
Barabbas répétait le
plan pour la vingtième fois. Judas soupira. Furieux, son chef l’apostropha.
« Crois-tu que tout cela ne serve à rien ?
Sais-tu de quoi tu seras capable quand le moment sera venu ? Nul ne se
connaît, même ceux qui comme moi ont fait dix fois ce genre de travail. Répétons,
donc. Que vas-tu faire ? »
Dompté, Judas s’exécuta.
« Le chariot doit passer à Béthoron en
fin de soirée, après avoir récupéré les impôts autour d’Emmaüs et Jérusalem. Les
Romains rentrent à la garnison d’Emmaüs, et le chariot reste la nuit entière
chez un cousin de Joël, gardé seulement par deux hommes. Il ne termine le
trajet que le lendemain. Nous allons l’attaquer cette nuit, chez le cousin. Moishé,
à toi. »
Moishé s’était entraîné avec Judas et
Nathanaël. Il s’était lui aussi révélé l’un des plus doués au maniement des
armes.
« Je tue le premier qui ouvre la porte en
me faisant passer pour un envoyé de la garnison romaine, et les autres s’engouffrent.
— Il faut que vous soyez très rapides. Seul
l’effet de surprise nous assurera le succès. Ensuite ? »
Du doigt, Moishé dessinait sur le sable le
plan de la maison que leur informateur, un marchand de Béthoron qui livrait la
garnison d’Emmaüs, leur avait procuré.
« Nous entrons à cinq dans la cour. Jérémie,
Isaac et moi nous chargeons des deux soldats. Judas va dans la chambre avec
Nathanaël. Il s’occupe de Joël pendant que Nathanaël maîtrise le cousin, et
éventuellement sa famille.
— Pas “maîtrise”. “Tue”. Il faut leur
faire peur. Un collaborateur ne peut pas s’en tirer. À la rigueur, nous
épargnons la famille : c’est toujours beaucoup plus fort quand des témoins
peuvent raconter. Mais n’hésitez pas à laisser des traces de violence. Si vous
avez le temps, cassez, démolissez, brûlez…
— Dès que les soldats sont éliminés, continua
Moishé, nous repartons chercher le coffre et le prenons…
— Lui ou ce qu’il y a dedans.
— Puis nous partons.
— Et ainsi nous faisons coup double :
nous marquons les esprits et renflouons nos caisses, qui en ont bien besoin. C’est
un plan simple. Faites ce que vous avez à faire, simplement, et cela marchera. »
Le soir venu, Judas s’entraîna encore avec son
couteau jusqu’à ce que Nathanaël, qui avait demandé à être de la mission parce
qu’il savait que ce serait la première de son ami, lui fasse comprendre que
cela ne servait plus à rien. Il dormit très mal, se réveillant tous les quarts
d’heure, en sueur la plupart du temps.
Ils se rendirent le lendemain à Béthoron, simple
entassement de petites maisons blanches et cubiques. Deux ânes, un dromadaire
et quelques sacs les firent passer pour des marchands. Judas peinait à avancer,
fatigué par sa nuit d’insomnie. Ils eurent quelques problèmes avec le
dromadaire, qui était en rut, ce que Moishé, chargé de le bâter, aurait dû
remarquer à son palais gonflé. Mais Isaac sortit de son sac une fiole d’huile
parfumée et en passa sur la bouche de la bête, que cela calma. Les couteaux
étaient cachés dans un ballot de grain, sur le dos d’un âne. Ils ne croisèrent
de Romains qu’aux abords de Béthoron, et passèrent sans problèmes le contrôle,
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