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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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Chorazim sans soupçon. Dès qu’il entendit la rumeur, il se précipita
pour trouver Nathanaël. Ce dernier était descendu avec trois hommes chercher
une dizaine de moutons. Ils avaient essayé de les monter vivants dans les
grottes, mais l’appareillage de cordes nécessaires à maintenir des bêtes
tremblantes de peur était trop difficile à fixer, et il avait fallu se résigner
à les tuer sur place. Judas les rejoignit.
    « Tu viens nous aider ? lui demanda
en souriant Nathanaël.
    — Non. Je suis venu pour te parler.
    — Me parler de quoi ?
    — Devant eux, ça me gêne. »
    Il montra du doigt les compagnons de Nathanaël.
    « C’est dommage, parce qu’il faut tuer
ces bêtes au plus tôt. Donne-nous un coup de main, et je serai à toi plus vite. »
    Une rage impuissante envahit le visage de
Judas. Mais il se maîtrisa, et attrapa son couteau.
    « D’accord. Dépêchons-nous. »
    D’une main, il saisit les pattes du mouton, de
l’autre il lui trancha la gorge. Le sang jaillit.
    « Fais attention, tu vas te salir. »
    Laver les affaires était un des problèmes
quotidiens les plus aigus. Un des hommes avait été récemment capturé parce qu’il
avait nettoyé ses vêtements dans le lit d’un petit ruisseau : l’eau avait
emporté les traces de sa lessive jusqu’à une patrouille romaine qui se
désaltérait un peu plus bas. Sans doute avait-il résisté à la torture, car rien
n’avait suivi son arrestation.
    Ils abattirent et dépouillèrent les dix
moutons. Les peaux furent roulées ensemble : elles seraient lavées et
tannées dans les grottes. Puis les bêtes encore sanguinolentes furent
descendues les unes après les autres, et le sang frais recouvert de terre pour
éviter que les mouches ne signalent le massacre.
    « Que voulais-tu me dire ? »
demanda Nathanaël.
    Il souriait, nettoyant avec du sable qu’il
éparpillait ensuite ses mains tachées de sang. Cela faisait plusieurs semaines
qu’il n’avait pas eu l’occasion de passer vraiment un moment avec Judas.
    « Sais-tu si Barabbas va souvent à
Chorazim ? »
    Nathanaël s’arrêta.
    « Assez, je crois. Il essaie de monter en
Galilée ce qu’il a monté en Judée. Et ton père a laissé là-bas un souvenir qu’il
ne veut pas laisser mourir…
    — C’est aussi ce qu’on m’a laissé entendre… »
    Judas était amer.
    « T’a-t-on précisé jusqu’à quel point il
pousse ce culte du souvenir ? »
    Nathanaël le regarda.
    « Que veux-tu dire ? »
    Il avait l’air gêné.
    « Tu sais très bien ce que je veux dire. Il
fréquente ma mère ?
    — Ta mère ? Judas, tu es devenu fou ?
    — Ne me prends pas pour un imbécile, s’il
te plaît. Tout le monde a l’air au courant, sauf moi.
    — Et moi ! Je te jure que je ne sais
rien. »
    La faiblesse de Judas fit d’un coup renaître
entre eux la confiance passée.
    « C’est vrai que des bruits ont couru. Je
ne t’en ai pas parlé, et je n’ai pas voulu les croire.
    — Mais dans le fond tu n’en sais rien. S’il
a fait ça…
    — Ne le condamne pas avant d’être sûr. Parle-lui.
    — Pour qu’il me raconte encore des
mensonges ? Non, je vais y aller. De toute façon, j’avais depuis longtemps
envie de revoir ma mère.
    — Judas, ce serait une bêtise. Tu es
recherché…
    — Je saurai bien ne pas me faire prendre.
    — Et si Barabbas se fâche ?
    — Il se fâchera. Je ne suis ni son
esclave ni son prisonnier.
    — Mais tu es sous ses ordres. Imagine qu’il
ne veuille plus de toi.
    — Je suis un de ses meilleurs soldats. Je
doute qu’il s’en prenne à moi. »
    Nathanaël vit que rien ne pourrait faire
changer son ami d’avis.
    Le lendemain matin, Judas partit.
    Il arriva près de
Chorazim deux jours plus tard, en fin d’après-midi. Il savait ne devoir y
entrer qu’à la nuit, pour ne pas être reconnu, et attendit dans une auberge, à
une dizaine de stades de là. Son émotion à revoir son pays fut plus forte qu’il
ne l’avait imaginé. Il commanda un flacon de vin et un peu d’un fromage dont la
douceur lui parut soudain effacer toute l’aigreur de ceux, trop secs, de Judée.
Il tenta de mettre de l’ordre dans ses pensées. L’image de son père s’effaçait,
progressivement remplacée par celle de Barabbas, et il luttait pour retrouver
ses traits, l’intonation de sa voix, son odeur. Il y échouait souvent et des
larmes de rage montaient à ses yeux, dirigées autant contre son chef que

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