Le Baiser de Judas
communauté. C’est pour eux que tu vas
travailler. Les autres sont en famille dans les villages. C’est très structuré.
Je ne sais pas exactement comment cela fonctionne. Tu n’auras qu’à y aller.
— Mais qu’ont-ils de particulier ?
— Ils croient en Dieu, très fort, et sont
obsédés par la pureté. Ils se lavent une fois par jour… Tu te rends compte ?
Le jour du sabbat, quand ils ont envie de chier, ils creusent un trou avec une
pelle spéciale et à une profondeur déterminée. »
Il s’esclaffa.
« Purs et propres. Ce ne sont pas des
gens pour nous. »
Judas rit à son tour.
Il travailla à la commande toute la semaine, endormant
sa douleur dans la monotonie de sa tâche.
« Je suppose que c’est moi qui vais aller
leur porter leurs vases ? demanda-t-il à Samuel.
— Ça t’amuse ?
— Ça m’intrigue, plutôt. Et puis ça me
fera sortir un peu : je n’ai pratiquement pas quitté l’atelier depuis huit
jours.
— Eh bien, vas-y. Tu peux faire le voyage
en un jour. Je pense qu’ils te logeront, même si leurs règles sont très
strictes. Autrement…
— Autrement je m’installerai dans la
charrette.
— Comme tu veux. »
L’essénien revint. Judas s’avança vers lui, mais
le jeune homme s’écarta.
« Je ne peux pas te toucher. Je dois
rester pur. »
Il examina quelques pots.
« C’est ce que nous attendions. Quand
penses-tu pouvoir les livrer au monastère ?
— Si tu peux partir dans une heure, c’est
d’accord pour moi. »
Judas voulait le provoquer. Mais l’autre
acquiesça, imperturbable.
« Prenons-nous ta charrette ou dois-je en
faire amener une ?
— Fais venir, fais venir. Mais mes tarifs
resteront les mêmes. »
Cette note mesquine parut heurter l’essénien
qui, l’air pincé, répondit :
« Je ne l’avais jamais envisagé autrement. »
Le mépris évident de son propos irrita Judas
au plus haut point.
« Eh bien, sois là dans une heure, et
nous chargerons. Maintenant, j’ai à faire. Excuse-moi. »
Quand il se retourna pour juger l’effet de son
attitude, l’autre avait déjà disparu.
Il mit son point d’honneur à être prêt au
moment où, d’une irritante ponctualité, l’essénien se montra à la porte de l’atelier,
conduisant une charrette tirée par un âne.
Judas commença de charger les pots, après
avoir étalé une couverture pour éviter qu’ils ne se cassent. Soigneusement, il
déposa entre chaque pile du fourrage pour les isoler.
« Ton souci de pureté t’interdit-il aussi
de m’aider ? » demanda-t-il ironiquement.
L’essénien releva ses manches et attrapa à son
tour une pile de vases en souriant.
« Excuse-moi si je t’ai semblé un peu
grossier tout à l’heure. Mais je ne vis que pour servir Dieu et je crois qu’on
ne peut bien le faire qu’en s’en tenant à une discipline stricte. »
Le chargement s’acheva vite, dans une ambiance
soudain plus chaleureuse.
« Samuel, nous partons, prévint Judas. Tu
penses que nous y serons ce soir ?
— Il le faudra si nous voulons pouvoir
dormir au monastère. Une nuit dehors me tente peu.
— Allons-y alors. »
L’essénien fit un petit bruit de la bouche, et
l’animal s’ébranla.
La route était
chaude, et le soleil prenait de la force à chaque minute. Quand ils eurent
dépassé Jérusalem, l’essénien montra à Judas la ville qui rosissait.
« Regarde si c’est beau. »
Les cèdres étaient encore plongés dans l’ombre
et seules les tours de la forteresse Antonia étaient visibles.
« Tu trouves vraiment ? »
répondit Judas d’un ton rogue, coupant court au lyrisme de son compagnon.
Il marchait à côté de la charrette, regardant
l’essénien, n’osant trop lui parler.
« Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda
celui-ci au bout d’un moment. As-tu des choses à me demander que tu me regardes
ainsi sans cesse à la dérobée ? Parle, je ne te mangerai pas, et si je n’ai
pas envie de te répondre, je te le dirai.
— Non, rien. »
Judas avait cet air buté qui l’énervait
lui-même, mais dont il n’arrivait pas à se défaire.
« Rien… Si tu te voyais. »
L’essénien éclata de rire, et ce rire soudain
lui rendit toute sa jeunesse. Soulagé de pouvoir lui aussi se laisser aller, Judas
lui emboîta le pas.
« Depuis quand es-tu à Jérusalem ?
— J’y suis né. Mes parents ont toujours
habité sur la colline de Sion. Ils étaient assez riches, et je ne me
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