Le Baiser de Judas
départ de son
protecteur.
« Tu es encore là ? Oui, c’est vrai
que personne ne t’a… Holà, Hannibal, emmène notre hôte chez lui. Tu sais, la
chambre du fond : il l’occupera pendant un grand moment. »
Il se tourna vers Judas.
« Je ne peux rester avec toi plus
longtemps. Ma femme est sortie, elle ne saurait tarder. Installe-toi. Elle sait
qui tu es. Les enfants croient vraiment que tu es un cousin éloigné. Ne les
détrompe pas. »
Un serviteur entra. Il était petit, approchait
sans doute de la cinquantaine. Sa tête s’inclina très bas, et Judas se sentit
soudain exaspéré par cette attitude. Il dut prendre sur lui-même pour ne pas
protester quand le domestique s’empara de son sac, mais le lui reprit dès qu’ils
furent hors de vue.
« Ne te fatigue pas, je vais le porter. »
L’homme ne parut même pas comprendre ce qu’on
lui disait.
Ils traversèrent un patio lumineux, derrière
lequel s’ouvraient une série de pièces. Hannibal s’arrêta devant l’une d’elles.
Derrière lui entra une esclave égyptienne, l’oreille percée en signe de
servitude. Elle portait une lampe pleine d’huile et ses cinq mèches intactes, prête
à servir.
« C’est ici. Tu as deux pièces, et l’escalier
au fond te permet de monter sur la terrasse. En cas de besoin, le coin des
domestiques est par là. »
Il désigna un trou noir, au bout d’un couloir.
« Tu n’as qu’à m’appeler. Je serai là-bas.
Mon nom est Hannibal. Si tu désires te laver, le miqveh est par ici. »
De la main, il désigna une salle de bains
privée, luxe que Judas n’avait jamais même imaginé. Il y vit des assiettes
emplies de pétales et d’herbe sèche, une robe en lin et des serviettes
soigneusement pliées, des vases d’huiles parfumées… À côté d’une vasque d’eau, il
découvrit un savon de soude parfumé à l’essence de santal : il lui
faudrait du temps pour s’habituer à l’odeur qu’il exhalait.
Hannibal se retira, laissant le jeune homme
désemparé au milieu de la pièce.
Judas passa une
partie de l’après-midi couché sur son lit, gêné par sa mollesse. Il s’engloutit
sous les chaudes couvertures et s’y sentit mal à l’aise, comme englué, presque
incapable de respirer. Pendant une semaine, il allait dormir par terre, incapable
de s’assoupir sans sentir sous lui la dureté du sol.
Sur la commode se trouvait un rouleau de
papyrus. Il en déchiffra le titre : Vie d’Auguste par Nicolas de
Damas. Fouillant dans les armoires, il découvrit des vêtements. En essayer
quelques-uns le mit là encore mal à l’aise. Il maudit Barabbas comme jamais il
ne l’avait fait auparavant.
Monter sur la terrasse ne dissipa pas son
vague à l’âme. D’un côté, il vit la cour de la maison, occupée en son centre
par un arbre aux fleurs rouges flamboyantes et une fontaine d’où s’élevait le
chuchotis de l’eau. De l’autre, il aperçut au loin la campagne. Il se sentit soudain
totalement prisonnier.
La famille fut présentée à Judas avant le
premier repas, qui fut sinistre. La mère était une femme douce, potelée, aux
longues mains fines, les seules à dénoter une certaine noblesse dans une
apparence dont la vulgarité était mise en avant plus que gommée par la richesse
des bijoux et des étoffes de Babylone qui la recouvraient. Son mari l’appelait
Lavinia.
« Ce n’est pas son vrai nom, mais dans
les affaires cela vaut mieux », s’excusa d’entrée Jephté, sans cacher tout
à fait, à la façon dont il le prononçait, la fierté que lui causait ce prénom
inventé. Les deux enfants, Malachie et Sarah, entraient dans l’âge adulte. Malachie
avait dix-neuf ans, et Sarah était de quatre ans sa cadette. Elle commençait à
être courtisée et en tirait une vanité qui s’exprimait en gloussements
indistincts chaque fois que le nom d’un de ses prétendants était prononcé.
Jephté prit une jarre, versa de l’eau sur sa
main droite puis sur la gauche, récita à mi-voix : « Béni sois-Tu Éternel,
Toi qui fais naître le pain de la terre », et invita Judas à s’allonger. La
famille le jaugeait avec une curiosité amusée. Prévoyant la situation, Jephté
avait mis tout le monde au courant des difficultés du « cousin », de
la misère dans laquelle ses parents avaient sombré avant de disparaître et de
la vraisemblable barbarie de ses manières. Ces avertissements n’empêchèrent pas
que Judas se sente observé, dévisagé,
Weitere Kostenlose Bücher