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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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basse flatterie avait bien pu faire ce général pour mériter un tel honneur. L’île grouillait de soldats en armes, qui portaient leur fusil d’un air martial, comme s’ils se fussent attendus à devoir repousser d’un instant à l’autre un débarquement de la marine japonaise.
    Noah avait dit à Hope qu’il essaierait de l’appeler à son bureau, dans le courant de la journée, mais il ne voulait pas perdre sa place dans la longue queue qui défilait devant les yeux blasés et exaspérés des médecins.
    –  Bon Dieu ! dit l’homme qui suivait Noah, en regardant la lente file nue, étique et flasque d’aspirants à la gloire. C’est ça qui va défendre le pays ? Ben, mon vieux, on a déjà perdu la guerre.
    Noah sourit et se redressa, comparant secrètement sa propre nudité à celle de tous les autres. Il y avait trois ou quatre jeunes gens aux puissantes musculatures, qui avaient dû pratiquer le rugby, et un type énorme avec un clipper, toutes voiles dehors, tatoué sur la poitrine, mais Noah fut heureux de constater que la comparaison était le plus souvent à son avantage. Il s’était beaucoup occupé de son corps, au cours des derniers mois. «  L’ armée me développera certainement beaucoup, pensa-t-il, en attendant de passer à la radio. Hope sera contente. » Puis il sourit. Il y avait certainement des moyens moins détournés de se fortifier des muscles qu’une guerre entre les États-Unis et l’Empire du Japon.
    Les docteurs firent à peine attention à lui. Sa vue était normale, il n’avait pas les pieds plats, il n’avait pas d’hémorroïdes, de hernie ni de gonorrhée. Il n’était ni syphilitique ni épileptique, et, après un examen d’une minute et demie, un psychiatre décida qu’il était assez sain d’esprit pour satisfaire aux exigences de la guerre moderne. Ses articulations étaient assez souples pour remporter les suffrages du chirurgien général, ses dents se rencontraient avec une efficacité suffisante pour lui permettre de mâcher la nourriture de l’armée, sa peau ne comportait aucune lésion ni aucune cicatrice visibles.
    Il s’habilla, heureux de retrouver ses vêtements, pensant : « Demain, ce sera un uniforme », et se dirigea, à la suite des autres, vers le dernier médecin harassé, qui, assis derrière un bureau isolé, appliquait sur les fiches médicales l’un des trois cachets : « Bon Service Armé », « Service Auxiliaire », ou : « Réformé ».
    « Je me demande, pensa Noah, tandis que le docteur se penchait sur sa fiche, je me demande s’ils vont m’envoyer dans un camp proche de New York, où je puisse voir Hope avec des permissions de la nuit… »
    Le médecin s’empara d’un des cachets, le posa lourdement sur un tampon encreur. Puis il l’appliqua sur la fiche de Noah et la poussa vers lui. Noah baissa les yeux. RÉFORMÉ. En grosses lettres pourpres, baveuses. Noah secoua la tête, écarquilla les yeux : c’était toujours RÉFORMÉ.
    –  Qu’est-ce qu’… commença-t-il.
    Le docteur le regarda, non sans une certaine compassion.
    –  Vos poumons, fiston, dit-il. Les rayons X ont montré des cicatrices, sur les deux. Quand avez-vous eu la t. b. ?
    –  Je n’ai jamais eu la t. b.
    Le docteur haussa les épaules.
    –  Désolé, fiston, dit-il. Au suivant.
    Noah sortit lentement de la grande salle. La nuit tombait. Le vent qui balayait le port, les casernes, le vieux fort et le champ de manœuvres, était cruel et mouillé d’embruns. La ville elle-même était un conglomérat de lumières, de l’autre côté de l’eau noire . De nouvelles cargaisons de volontaires et de mobilisés se déversaient incessamment des ferry-boats, en route vers la file des médecins et l’implacable trinité des cachets rouges.
    Noah frissonna et releva son col, tenant toujours sa fiche que tentait de lui arracher le vent marin. Il se sentait ankylosé et inutile, comme un écolier abandonné dans les dortoirs, la veille de Noël, par ses camarades envolés vers la multitude des fêtes familiales. Il glissa sa main sous sa veste et sous sa chemise. Il toucha la peau de sa poitrine, palpa le ferme squelette de sa cage thoracique. Il paraissait solide et digne de confiance, en dépit des pointes de vent glacial qui pénétraient par l’ouverture de ses vêtements entrebâillés. Expérimentalement, il toussa. Il se sentait fort et en bonne santé.
    Il se dirigea vers l’embarcadère et monta à bord du ferry,

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