Le Bal Des Maudits - T 1
que vous ayez pris votre permission lorsque vous l’avez fait.
Christian ne répondit pas. Il n’avait aucune envie d’entamer une longue conversation mondaine avec le lieutenant Hardenburg. Il n’avait pas encore vu Corinne, et il avait hâte d’aller la retrouver pour lui dire de prévenir son beau-frère.
– Oui, continua le lieutenant, très heureux.
Inexplicablement, il sourit.
– Venez ici, sergent, dit-il d’un ton mystérieux.
Il se dirigea vers la fenêtre sale, munie de barreaux , et se mit à contempler le spectacle de la rue. Christian l’y suivit et se tint près de lui.
– Je veux que vous compreniez, chuchota Hardenburg, que tout ceci est extrêmement confidentiel, secret. Je ne devrais même pas vous le dire, mais il y a si longtemps que nous sommes ensemble que j’ai la certitude de pouvoir vous faire confiance.
– Oui, mon lieutenant, répondit prudemment Christian.
Hardenburg regarda soigneusement autour de lui et se pencha un peu plus vers Christian.
– Ça y est tout de même, dit-il avec une jubilation évidente. Ça y est, nous partons.
Il tourna brusquement la tête et regarda par-dessus son épaule. L’employé, seul autre occupant de la pièce, était penché sur son bureau, à cinq ou six mètres de là.
– L’Afrique, chuchota Hardenburg, si bas que Christian l’entendit à peine. Le Corps expéditionnaire d’Afrique.
Il arbora un large sourire.
– Dans quinze jours. N’est-ce pas merveilleux ?
– Oui, mon lieutenant, dit Christian, après une pause imperceptible.
– Je savais que vous en seriez heureux, dit Hardenburg.
– Oui, mon lieutenant.
– Il y aura beaucoup à faire, au cours des quinze prochains jours. Vous allez être très occupé. Le capitaine voulait annuler votre permission, mais j’ai pensé qu’elle vous serait salutaire et que vous sauriez rattraper le temps perdu…
– Merci beaucoup, mon lieutenant, dit Christian.
– Enfin, dit Hardenburg en se frottant les mains. Enfin…
Il regarda à travers les vitres poussiéreuses, les yeux fixés sur les nuages de poussière soulevés en Lybie par le passage des tanks, les oreilles tendues vers le bruits des canons, sur les côtes de la Méditerranée.
– Je commençais à avoir peur, dit-il doucement, de ne jamais voir une bataille.
Il secoua la tête, pour s’obliger à sortir de sa délicieuse rêverie.
– Très bien, sergent, dit-il, retrouvant soudain sa v oix habituelle. Vous pouvez disposer. J’aurai besoin de vous dans une heure.
– Bien, mon lieutenant, dit Christian.
Il exécuta un demi-tour, se dirigea vers la porte et s’arrêta.
– Mon lieutenant, dit-il.
– Oui ?
– Je veux signaler un homme du 14 7 e pionniers, pour sanctions disciplinaires.
– Donnez tous les renseignements à l’employé aux écritures, dit Hardenburg. Nous transmettrons.
– Oui, mon lieutenant, dit Christian.
Il gagna le bureau de l’employé et le regarda inscrire le nom du soldat Hans Reuter, signalé pour tenue et conduite indignes d’un soldat par le sergent Christian Diestl.
– C’est un récidiviste, dit l’employé sans s’émouvoir. Il va se faire boucler.
– Probablement, acquiesça Christian.
Il sortit, resta un instant immobile, devant la porte, et se dirigea vers le domicile de Corinne. À mi-chemin, il s’arrêta. « Ridicule, pensa-t-il. À quoi bon la revoir à présent ? »
Il revint sur ses pas. Il s’arrêta devant la vitrine d’un petit bijoutier. Dans la vitrine, il y avait quelques bagues de diamant et un pendentif d’or massif, avec un gros topaze à son extrémité. Christian regarda le topaze, pensant : « Il plairait à Gretchen. Je me demande combien il peut coûter. »
8
L ES salles étaient pleines d’hommes et de jeunes gens, qui fumaient, crachaient, s’agitaient, parlaient fort, avec les accents les plus divers des rues de New York, et disaient, dans le sordide corridor où régnait une odeur de transpiration et d’usage public :
– Oncle Sam, v’ là Vincent Kelly.
Et :
– J’étais en train d’écouter la retransmission du match de football et voilà-t-il pas que ces salauds-là l’interrompent au beau milieu pour annoncer que les Japs ont cogné sur Hickam Field. Et ça m’a tellement excité que j’en ai pas écouté davantage et que j’ai dit à la bourgeoise : « Où diable que ça se trouve, » Hickam Field ? » et c’est les
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