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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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observa un instant le dos humblement voûté, les jambes étonnamment musclées, nues jusqu’au genou, sous un pantalon de travail déchiré, le cou recuit par le soleil, la chemise incolore et tachée de sueur…
    Puis, à son tour, il haussa les épaules. Peut-être, en temps de guerre, un bon citoyen devrait-il rapporter de telles paroles aux autorités compétentes ? Peut-être ce vieux jardinier en haillons était-il un commandant de la marine japonaise, attendant, pour révéler sa qualité, que la Flotte impériale croise au large de San Pedro Harbor ? Michael sourit. « Le cinéma, pensa-t-il. Impossible à l’esprit moderne d’échapper à l’influence du cinéma. »
    Il ferma la fenêtre et se rasa. Et, tout en se rasant, il tenta d’établir le plan de sa journée. Il était venu en Californie avec Thomas Cahoon, qui essayait de monter une pièce. Il fallait également qu’ils confèrent avec l’auteur, Milton Sleeper, au sujet de cer taines modifications. Mais Sleeper ne pouvait travailler que le soir à sa pièce. Le jour, il travaillait comme scénariste dans les studios de la Warner.
    –  L’art au xx e siècle ! avait dit Cahoon d’un ton sarcastique. Gœthe et Ibsen et Tchékhov travaillaient à leurs pièces toute la journée, mais Milton Sleeper, lui, ne peut leur consacrer que ses soirées !
    « Quand son propre pays entre en guerre, musa Michael en se raclant le menton, on devrait se sentir gonflé d’enthousiasme, s’emparer d’un fusil, s’embarquer sur un navire de guerre, grimper dans un bombardier, effectuer un vol sans escale de cinq mille kilomètres, sauter en parachute dans la capitale ennemie… « Oui, mais Cahoon avait besoin de lui pour mettr e la pièce en route. Et Michael avait besoin d’argent immédiatement, son père et s a mère n’auraient plus qu’à crever de faim, et il y avait la pension alimentaire de Laura… Cahoon, cette fois, lui donnait un pourcentage sur la pièce. C’était un petit pourcentage, bien sûr, mais, si la pièce tenait l’affiche, l’argent rentrerait régulière ment pendant un an ou deux. Peut-être la guerre serait-elle courte et l’argent durerait-il jusqu’à la fin ? Et si la pièce faisait un boom, comm e A bi e’ s Irish Rose ou la Route au tabac, la guerre pourrait durer aussi longtemps qu’elle le voudrait. Mais c’était horrible de penser qu’une guerre puisse durer aussi longtemps que la Route au Tabac.
    Dommage, tout de même, qu’il n’ait pas eu l’argent sous la main. Quelle satisfaction pour lui s’il avait pu se rendre au plus proche bureau de recrutement et s’engager aussitôt après avoir entendu la nouvelle, à la radio. Un geste viril, sans équivoque, auquel il aurait pu repenser toute sa vie avec un légitime orgueil. Mais il n’avait que six cents dollars à la banque, et il avait des ennuis, au sujet d’impôts sur le revenu non payés depuis 1939, et Laura s’était montrée plus gourmande qu’il l’avait supposé, lors du règlement de leur divorce. Il fallait qu’il lui verse quatre-vingts dollars par semaine, tout le reste de son existence – à moins qu’elle ne se remarie, – et elle avait emporté tout l’argent qu’ils avaient à leur compte à New York. Il se demanda ce qu’il advenait des pensions alimentaires lorsqu’on s’engageait dans l’armée. Un M.  P. v enait-il vous taper sur l’épaule, alors que vous étiez accroupi dans une tranchée, en disant : « Venez, soldat, c’est vous que nous cherchons. » Il se souvenait de l’histoire qu’un de ses amis anglais lui avait raconté sur la dernière guerre. Le troisième jour de la bataille de la Somme, seul survivant, ou presque, de sa compagnie, et sans le moindre espoir d’une proche relève, il avait reçu une lettre d’Angleterre . Les mains tremblantes, les yeux embués de larmes, il l’avait ouverte. Elle émanait, cette lettre, de l’administration correspondant à la perception des Contributions directes, et disait « Monsieur, nous vous avons déjà écrit plusieurs fois pour vous sommer de payer l’arriéré de vos impôts sur le revenu pour l’année 1914 Ceci, nous regrettons de devoir vous le dire, est absolument le dernier avertissement. Si nous ne recevons pas de vos nouvelles dans les délais les plus brefs, nous entamerons contre vous toutes poursuites légales en pareil cas. » Boueux, hagard, les vêtements déchiquetés, assourdi par le grondement continuel des canons,

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