Le Bal Des Maudits - T 1
sous le regard morne du M. P. e n armes, avec son casque d’hiver à oreillettes. Le ferry était presque vide. « Tous, pensa-t-il, tandis que le bateau portant le nom d’un général mort glissait doucement vers la masse proche de la ville, tous, ils vont dans la direction opposée. »
Hope n’était pas chez elle lorsqu’il y arriva. L’oncle lecteur de Bible était assis dans la cuisine, en caleçon et tricot de corps. Il leva la tête, avec mauvaise humeur, à l’entrée de Noah, qu’il n’aimait guère, et dit :
– Vous voilà ? Je vous croyais déjà colonel.
– Ça ne vous dérange pas que je l’attende, demanda Noah, épuisé.
– Comme vous voudrez, dit l’oncle en se grattant sous l ’aisselle, au -dessus du livre ouvert à l’Évangile selon saint Luc. J’ignore à quelle heure elle rentrera. Elle a pris de drôles d’habitudes, depuis quelque temps, ainsi d’ailleurs que je l’ai écrit à ses parents, dans le Vermont, et elle confond volontiers la nuit avec le jour.
Il sourit méchamment.
– Et maintenant que vous allez entrer dans l ’armée, ou du moins qu’elle se l ’imagine, elle est probablement en train de chercher ailleurs, pas vrai ?
Il y avait du café sur le poêle et, sur la table, une tasse entamée, dont l’odeur tentatrice caressait les narines de Noah, qui n’avait pas mangé depuis midi. Mais l’oncle ne lui en offrit pas, et Noah se garda bien de lui en demander.
Noah retourna dans le salon et s’assit sur le fauteuil de velours garni d’une têtière de dentelle bon marché. La journée avait été longue, le vent et le froid lui avaient coupé le visage et il s’endormit soudain, cessa d’entendre les pantoufles de l’oncle, sur le plancher de la cuisine, le choc de la cafetière sur le bord de sa tasse, la voix nasillarde qui s’élevait, par intermittence, lisant tout haut des passages de la Bible…
Le bruit du portail s’ouvrant brusquement – l’un des bruits profonds de son univers familier – le tira de son sommeil. Il cligna des yeux et se leva au moment où Hope pénétrait dans la pièce. Elle marchait lentement et lourdement. Elle s’arrêta court en le voyant debout, devant elle, au centre de la pièce.
Puis elle courut à lui, et il la tint serrée contre lui.
– Tu es là, dit-elle.
Son oncle claqua violemment la porte qui séparait la cuisine du salon. Ils n’y prêtèrent pas la moindre attention.
Noah frotta sa joue contre les cheveux de la jeune fille.
– J’étais dans ta chambre, dit Hope. Je t’attendais, en regardant tout ce qui t’appartient. Tu ne m’as pas téléphoné. Pourquoi ? Qu’est-il arrivé ?
– Ils ne veulent pas de moi, dit Noah. J’ai des cicatrices aux poumons. Tuberculose.
– Oh, mon Dieu ! dit Hope.
9
L E cliquetis des lames d’une tondeuse à gazon éveilla Michael. Il resta un instant immobile dans le lit étranger, respirant le parfum pénétrant de l’herbe californienne, se remémorant l’endroit où il était et ce qui s’était passé la veille.
– Il y a déjà probablement, avait dit le scénariste, à Palm Springs, au bord de la piscine, une dizaine de types en train d’y travailler chez eux. Le maître d’hôtel apporte le thé dans le jardin et dit : « Lait ou citron ? et la petite fille de neuf ans entre avec sa poupée et dit : « Papa, tu veux pas arranger la radio. Je peux pas avoir l’émission enfantine. Ils arrêtent pas de parler de Pearl Harbor. Dis, papa, est-ce que c’est à côté de chez grand-mère, Pearl Harbor ? » Et elle renverse sa poupée qui crie : « Maman ».
« C’était absurde, pensa Michael, mais probablement véridique . Les grands événements s’annonçaient toujours par des clichés. L’arrivée des désastres universels dans le courant quotidien de la vie paraissait se produire toujours d’une façon banale et assez ennuyeuse. Et le dimanche, par surcroît, pendant que les gens digéraient le copieux dîner du Sabbat, aprè s être sortis des églises, où ils avaient dûment marmotté quelque prière pour la paix. L’ennemi semblait prendre un malin plaisir à faire ses plus sales coups le dimanche, comme s’il voulait montrer au monde la fragilité des institutions chrétiennes. Après l’alcool et la fornication du samedi soir, et la sainte prière du matin et le bicarbonate de soude dans un demi-verre d’eau.
La nouvelle avait surpris Michael lui-même alors
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