Le Bal Des Maudits - T 1
derniers quarts d’heure, et ce n’est pas ça qui me fera vous aimer davantage ! Je ne connais aucun Juif. Je n’ai jamais été en rapport avec eux. Il a fallu que je vous regarde et que je décide, en quelques minutes, si je croyais que les Juifs étaient d’infâmes hérétiques, des fripouilles de naissance, ou si… Hope dit du bien de vous, mais ce ne serait pas la première fois qu’une jeune fille se tromperait de cette manière. Toute ma vie, j’ai cru que je croyais que tous les hommes naissaient égaux, mais. Dieu merci, je n’avais pas eu encore à mettre mes convictions à l’épreuve. N’importe quel garçon de la ville se serait présenté pour demander la main de ma fille, je lui aurais dit : « Venez à la maison. Virginie a fait une dinde pour le déjeuner… « Mais…
Ils étaient revenus en face de l’hôtel. Noah n’y avait pas pris garde, mais, soudain, la porte s’ouvrit, et. Hope jaillit sur le trottoir.
Le vieillard cessa de parler et s’essuya pensivement la bouche, tandis que sa fille se dirigeait vers lui, le visage tourmenté et tendu.
Noah se sentait faible et malade et la liste des noms, sur les vitrines, les Kinne et les West et les Swift, et les noms gravés sur les pierres tombales, et l’église austère, et la voix calme du vieillard, et la vision douloureuse de Hope elle-même lui devinrent soudain intolérables. Il évoqua sa chambre tiède et désordonnée, près du fleuve, avec les livres et le vieux piano et souhaita, de toutes ses forces, s’y trouver instantanément transporté.
– Alors ? dit Hope.
– Alors, dit lentement son père. J’étais en train de dire à M. Ackermann qu’il y avait de la dinde à déjeuner.
Lentement, un sourire détendit le visage de la jeune fille. Elle se pencha, embrassa son père.
– Vous y avez mis le temps ! s’écria-t-elle, et Noah comprit, d’un seul coup, que tout irait bien, mais il était trop épuisé pour ressentir quoi que ce soit.
– Allez donc chercher vos affaires, jeune homme, dit Mr Plowman. Inutile de continuer à donner de l’argent à ces escrocs.
– Oui, dit Noah, oui, bien sûr.
Il monta doucement les marches de l’hôtel. Parvenu à la porte, il se retourna. Hope tenait le bras de son père. Le vieillard souriait. C’était un peu forcé et un peu douloureux, sans doute, mais, enfin, c’était un sourire.
Oh, dit Noah. J’allais oublier. Joyeux Noël !
Puis il entra pour aller chercher sa valise.
12
L E conseil de réforme siégeait dans un vaste grenier, au-dessus d’un restaurant grec. L’odeur d’huile frite et de poisson montait du rez-de-chaussée en vagues successives. Le plancher était sale. Deux ampoules nues éclairaient les chaises grossières de bois blanc et les bureaux encombrés de paperasses, où deux secrétaires au physique ingrat remplissaient avec ennui des formulaires imprimés. Une paroi de contre-plaqué, à travers laquelle filtrait un murmure de voix, séparait la salle d’attente de la section du grenier où siégeait le conseil. Une douzaine de personnes étaient assises sur les chaises de bois. Des hommes d’âge mûr, en complets de bonne coupe, un jeune Italien en blouson de cuir, accompagné de sa mère, plusieurs jeunes couples, main dans la main, sur la défensive. « Ils ont tous l’air aux abois, pensa Michael. Ils regardent tous avec amertume et ressentiment le drapeau de papier collé au mur et les avis officiels, imprimés ou ronéotypés.
» Ils ont tous l’air, pensa Michael, d’avoir dans leur manche un dernier atout, quelque maladie congénitale ou quelque tare héréditaire… Et leurs femme s – é pouses et mères – regardent tous les autres hommes d’un air accusateur, comme pour dire : Je lis en vous. Vous êtes en parfaite santé, et vous a avez une fortune dans votre coffre-fort, et vous voulez que mon fils ou que mon mari parte à votre place. Mais je ne vous laisserai pas faire. »
La porte de la salle du conseil s’ouvrit, et un jeune garçon aux yeux noirs sortit avec sa mère. La mère pleurait, le garçon était rouge, mi-effrayé, mi-en colère. Tous les occupants de la pièce fixèrent sur lui un regard froid et calculateur, voyant déjà la forme inanimée sur le champ de bataille, la croix de bois, le messager de la Western Union pressant le bouton de sonnette avec le télégramme en main. Aucune pitié dans ces regards, rien qu’une dure satisfaction qui semblait
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