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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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capacité définie, un visage qui paraîtrait dur et peu engageant à cet homme, et une voix qui bégayait presque, à l’accent commun récolté au contact des mauvaises écoles et des gens de basse extraction qu’il avait fréquentés d’un bout à l’autre de l’Amérique. »
    Noah connaissait ce genre de villes et savait quelle sorte d’hommes elles engendraient. Des hommes fiers, exclusifs, durs, avec une histoire familiale remontant à la naissance de la ville elle-même, et qui regardaient avec une frayeur méprisante les hordes innombrables et sans attaches qui emplissaient les grandes cités. Noah ne s’était jamais senti plus étranger à la surface du continent qu’au moment où il déboucha dans le hall de l’hôtel et aperçut l’homme et le jeune fille qui, assis sur les fauteuils de bois, contemplaient, à travers les vitres, le spectacle de la rue.
    Tous deux se levèrent en entendant Noah pénétrer dans le hall. « Elle est pâle », enregistra l’esprit de Noah, avec le sentiment d’une catastrophe imminente. Très pâle. Il marcha lentement vers le père et la fille. Mr Plowman était un homme grand, voûté, qui donnait l’impression d’avoir toute sa vie façonné le fer et la pierre et de ne s’être jamais levé plus tard que cinq heures du matin au cours des soixante dernières années. Il avait un visage angulaire, plein de réserve, des yeux las derrière des lunettes à monture d’argent, et il ne trahit aucun signe de bienvenue ni d’hostilité lorsque sa fille désigna Noah et dit :
    –  Père, je te présente Noah.
    Il tendit la main. Noah la serra. La main était dure et calleuse. « Je ne mentirai pas, pensa Noah, quoi qu’il arrive ; je ne mentirai pas. Je ne prétendrai pas être ce que je ne suis pas. S’il dit oui, tant mieu x s’ il dit non… » Noah refusait d’envisager cette solution.
    –  Très heureux de faire votre connaissance, dit le père.
    Ils formaient un groupe curieux, immobile, et le vieil employé de l’hôtel les observait avec un intérêt non dissimulé.
    –  Il me semble, dit Mr Plowman, que M. Acker-man et moi pourrions avoir une petite conversation.
    –  Oui, chuchota Hope.
    Et la tension pénible de sa voix fit comprendre à Noah que tout était perdu.
    Mr Plowman examina le hall de l’hôtel.
    –  L’endroit n’est peut-être pas absolument propice, dit-il en foudroyant l’employé d’un regard que celui-ci lui rendit, en toute innocence. Nous pourrions faire un petit tour en ville.
    –  Oui, monsieur, dit Noah.
    –  Je vous attends ici, dit Hope.
    Elle se laissa tomber, brusquement, dans le vieux fauteuil, qui émit un craquement sinistre. L’employé fit une grimace désapprobatrice, et Noah eut la certitude qu’il réentendrait souvent ce bruit plaintif, dans ses cauchemars, au cours des années à venir.
    –  Nous serons de retour dans une demi-heure environ, ma fille, dit Mr Plowman.
    Le visage de Noah se crispa légèrement, à l’audition du « ma fille », qu’on eût dit extrait d’une mauvaise pièce sur la vie à la ferme en 1900. Il tint la porte ouverte et suivit Mr Plowman sur le trottoir enneigé, Ho pe les regarda anxieusement, à travers les vitres brouillées. Ils s’éloignèrent, lentement, délibérément, le long des vitrines closes, dans le vent froid et dur de ce jour de Noël.
    Il marchèrent sans parler pendant près de deux minutes, écrasant sous leurs semelles les petits blocs de neige oubliés sur les trottoirs par les bêches des commerçants. Puis Mr Plowman prit la parole.
    –  Combien payez-vous, dans cet hôtel ? demanda -t-il.
    –  Deux dollars cinquante, répliqua Noah. – Pour une journée ?
    –  Oui.
    –  Ce sont des escrocs, constata Mr Plowman. Comme tous les hôteliers.
    Puis il se tut, et tous deux poursuivirent leur promenade silencieuse. Ils passèrent devant la graineterie Marshall, le drugstore F. Kinna, le tailleur pour hommes J. Gifford, les bureaux de l’homme de loi Virgil Swift, la boucherie Harding, la boulangerie Walton, les meubles et pompes funèbres Oliver Robinson, et l’épicerie N. West.
    Le visage de Mr Plowman était calme et rigide et, tandis que le regard de Noah passait incessamment de ses traits accusés et de son vieux chapeau du dimanche aux vitrines qu’ils longeaient, les noms s’enfonçaient dans son cerveau comme autant de clous enfoncés dans une planche par un charpentier méthodique. Chaque nom était

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