Le Bal Des Maudits - T 1
J’ignore ce que vous avez sur ce papier, mais j’ai mon père et ma mère à nourrir, et je paie une pension alim…
– Votre femme, coupa amèrement le président après avoir consulté les papiers étalés devant lui, gagne cinq cents dollars par semaine.
– Quand elle travaille, dit Michael.
– Elle a travaillé trente semaines l’année dernière, dit le président.
– C’est exact. Et aucune cette année, dit Michael excédé.
– Peut-être, dit le président avec un geste évasif, mais nous devons considérer les gains probables. Elle a travaillé les cinq dernières années, et il n’y a aucune raison de supposer qu’elle ne continuera pas. En outre… – il se reporta une fois de plus à ses papier s … vous prétendez que vos parents sont à votre charge ?
– Oui, soupira Michael.
– Nous avons découvert que votre père avait une pension de soixante-huit dollars par mois.
– C’est exact, admit Michael. Avez-vous jamais essayé de faire vivre deux personnes avec soixante-huit dollars par mois ?
– En un temps comme celui-ci, dit le président avec dignité, c’est le devoir de chacun de faire quelques sacrifices.
– Je n’ai pas l’intention de discuter avec vous, dit Michael. Je vous répète que je vais m’engager.
– Pourquoi ? demanda quelqu’un.
Il observa Michael à travers un épais pince-nez, comme s’il s’apprêtait à percer à jour son dernier subterfuge.
Michael regarda alternativement les sept visages hostiles. Il ricana.
– Je n’en sais rien, dit-il. Et vous ?
– Ce sera tout, monsieur Whitacre, dit le président.
Michael se leva et sortit. Il sentait sur lui les yeux des sept hommes, leurs regards furieux, pleins de haine. « Ils sont déçus, réalisa-t-il soudain, ils auraient tellement aimé me coincer quelque part. Ils s’y étaient préparés. »
Les gens qui attendaient dans l’autre pièce levèrent les yeux, surpris de le voir ressortir aussi vite. Il leur sourit. Il avait envie de leur lancer quelque plaisanterie, mais il s’en abstint. Ce serait trop cruel pour les pauvres types qui attendaient encore.
– Bonne nuit, chérie, dit-il au laideron assis derrière le bureau.
Ç’a vait été plus fort que lui. Elle le regarda avec la supériorité inébranlable de la personne qui ne sera jamais appelée à mourir sur l’homme qui pourra l’être.
Michael souriait toujours en descendant l’escalier empesté par les relents de la cuisine grecque, mais il se sentait déprimé, « Le premier jour, pensait-il, j’aurais dû m’engager le premier jour. Je ne me serais pas exposé à une scène de ce genre. » Il se sentait suspect et souill é, tandis qu’il marchait dans le soir clément, parmi les couples oublieux de la petite guerre sordide qui se livrait en leur nom, entre les âmes, dans le grenier-sale, au- dessus du restaurant grec, à un demi-pâté d’immeubles de distance.
Deux matins plus tard, en descendant prendre son courrier, il trouva une carte de son conseil de réforme. « Selon votre demande, disait-elle, vous serez reclassé bon pour le service le 15 mai prochain. » Il rit en lisant ces mots. « Ils ont arraché la victoire aux ruines de leur campagne », pensa-t-il. Mais il se sentait soulagé tandis qu’il remontait chez lui, en ascenseur. Il n’ y avait plus de décisions à prendre.
1 3
N OAH ouvrit les yeux dans la lueur diffuse de l’aube et regarda sa femme. « Elle dort, pensa-t-il, comme si elle lui cachait quelque chose. Hope, pensa-t-il, Hope, Hope ! » Elle avait dû être une petite fille sérieuse, marchant dans les rues de la ville austère, comme si elle avait toujours eu une mission importante à remplir. Elle avait eu aussi, sans doute, des tas de petites cachettes secrètes dans les recoins de sa chambre. Plumes et fleurs séchées et dessins de mode prélevés dans le Harper’s Bazar, tous les menus trésors de l’enfance. Que savait-il des petites filles ? Aurait-il été différent, s’il avait eu une ou deux sœurs ? Sa femme était venue à lui d’un monde entièrement fermé. Elle aurait pu venir, aussi bien, des montagnes du Tibet ou d’un couvent de France. Pendant qu’il fumait des cigarettes sous le toit de l’Académie militaire du colonel Drury – nous prenons l’Adolescent, nous restituons l’Homme – que faisait-elle, dans son Vermont natal, en marchant dans les rues, autour du cimetière où dormaient
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