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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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Je ne peux pas rester ici avec toi, dit Hope. Il faut que je rentre. Tout le monde dormait quand j’ai quitté la maison, mais ils sont probablement levés, maintenant, et ils vont se demander où j e suis passée. Il faut que j’aille à l’église avec eux, et je vais tâcher d’isoler mon père dans un coin, en revenant.
    –  Bien sûr, acquiesça Noah avec une énergie inutile. C’est exactement ce qu’il faut faire.
    –  Il y a un hôtel en face. Hope désigna un bât iment de trois étages, à une cinquantaine de mètres. Tu peux t’y installer et déjeuner et te rafraîchir un peu. Je viendrai te chercher vers onze heures. Est-ce que ça ira ? demanda-t-elle avec anxiété.
    –  À merveille, dit Noah. Je vais me raser.
    Il arbora un sourire radieux, comme s’il venait soudain d’avoir une idée de génie.
    –  Oh ! Noah, chéri…
    Elle s’approcha de lui et leva les deux mains vers son visage, avec une expression d’angoisse indicible.
    –  Je suis si honteuse. Je t’ai déçu. Je suis sûre que je t’ai déçu.
    –  Ne dis pas de sottises, coupa-t-il doucement.
    Mais, au fond de lui, il savait qu’elle avait raison.
    Elle l’avait déçu. Il était encore plus surpris que déçu, d’ailleurs. Elle s’était toujours montrée si courageuse, si digne de sa confiance. Elle avait toujours été si franche dans tout ce qu’elle faisait avec lui. Mais, en plus de sa déception et du chagrin qu’il avait éprouvé en ce froid matin de Noël, il avait conscience d’une sorte de satisfaction. Il était sûr de l’avoir déjà déçue, dans le passé, et de la décevoir encore, à l’avenir. L’équilibre serait plus juste entre eux, désormais, et il aurait toujours quelque chose à lui pardonner.
    –  Ne t’inquiète pas, chérie.
    Il lui sourit, le visage las et noir de suie.
    –  Je suis sûr que tout ira bien. Je t’attendrai là… Il désigna l’hôtel.
    –  Va à l’église et…
    Il sourit de nouveau, tristement :
N’oublie pas de prier pour moi !
    Elle sourit aussi, près des larmes, pivota et s’éloigna, de son pas vif et précis, que même les lourds souliers d’hiver et le sol glissant ne pouvaient parvenir à transformer. Il la regarda disparaître au coin de la rue, en route vers la maison où son redoutable père et son frère bavard devaient déjà l’attendre. Il ramassa sa valise et traversa la rue, en direction de l’hôtel. Au moment d’ouvrir la porte, il s’arrêta. « Oh, mon Dieu ! pensa-t-il, j’ai oublié de lui souhaiter un joyeux Noël. »
    Il était midi et demi lorsque quelqu’un frappa enfin à la porte de la petite chambre grise, meublée d’un vieux lit de fer et d’un lavabo craquelé, que Noah avait loué pour deux dollars cinquante. Il lui restait trois dollars et soixante-quinze cents pour célébrer Noël. Il avait, heureusement, son ticket de retour à la ville. Il ne s’était pas attendu à devoir payer une chambre d’hôtel. Pourtant la situation n’était pas désespérée. Les repas n’étaient pas cher, en Vermont. Son petit déjeuner ne lui avait coûté que trente-cinq cents, avec deux œufs. Il avait grogné en faisant mentalement le compte de ses finances. Outre la guerre et l’amour et le sauvage dissentiment entre les Juifs et les Gentils, qui avait existé pendant près de deux mille ans jusqu’à ce matin impitoyable de Noël, et l’habituelle répugnance d’un père à donner sa fille à un étranger, il fallait qu’il y ait encore le souci sordide de passer le jour de fête avec moins de cinq dollars dans sa poche !
    Noah ouvrit la porte, en se composant, à l’intention de Hope, ce qu’il croyait être un visage paisible et confiant. Mais ce n’était pas elle. C’était un vieux bonhomme congestionné et ridé qui travaillait à l ’hôtel.
    Un monsieur et une dame pour vous dans le hall en bas, dit l’homme brièvement.
    Il tourna les talons et s’en alla.
    Noah se regarda anxieusement dans le miroir, se peigna en trois mouvements convulsifs, arrangea sa cravate et quitta la pièce. « Comment, se demanda-t- il en descendant l’escalier, qui sentait la cire et la graisse de lard , comment un homme sensé pourrait-il me dire oui ? Trois dollars en poche, une religion différente, un corps estimé sans valeur par le gouvernement de la République, et pas de profession, pas d’ambition réelle, sinon d’aimer et de rendre sa fille heureuse. Pas de famille, pas d’ami, aucune

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