Le Bal Des Maudits - T 1
dire : « En voilà toujours un qui n’y coupera pas. »
Un timbre grésilla sur le bureau d’une des secrétaires. Elle se leva et parcourut la pièce du regard.
– Michael Whitacre, énonça-t-elle.
Sa voix était âpre et ennuyée. Elle était laide et mettait trop de rouge à lèvres. Lorsqu’elle se leva, Michael remarqua qu’elle avait les jambes torses et les bras en tire-bouchon.
– Whitacre, appela-t-elle une seconde fois, d’un ton impatient et presque offensé.
Il lui fit signe de la main et sourit.
– Ne vous excitez pas, chérie, dit-il. On y va.
Elle le fusilla du regard, avec une froide supériorité.
Michael ne pouvait l’en blâmer. En plus de l’insolence automatique de la fonctionnaire, le sens de son pouvoir lui montait à la tête. Elle envoyait des hommes à la mort, eu quelque sorte, elle qu’aucun homme n’avait, dû regarder avec amour, ou simplement avec désir. « Chaque minorité oppressée – Mormons, Nègres nudistes ou femmes sans amour – pensa Michael en « approchant de la porte, trouve où elle le peut ses propres consolations. Il faudrait un saint pour bien se conduire dans des circonstances semblables. »
En ouvrant la porte, Michael remarqua avec une certaine surprise qu’il tremblait un peu. « Ridicule », pensa-t-il, contrarié, en faisant face aux sept hommes assis derrière la longue table. Ils se retournèrent et le regardèrent. En contrepartie du ressentiment et de la crainte et de l’amertume qui attendaient dans la pièce contiguë, régnaient, ici, une suspicion infatigable, une dureté constamment renforcée. « Pas un seul d’entre eux, songea Michael en regardant sans sourire leurs visages rigides, auquel j’adresserais la parole en d’autres circonstances. Mes voisins. Qui les a choisis ? D’où sortent-ils ? Qu’est-ce qui les a rendus si avides d’envoyer leurs concitoyens à la guerre ? »
– Asseyez-vous, je vous prie, monsieur Whitacre, dit le président.
Il désigna une chaise vacante. C’était un vieil homme trop gras, avec des petits yeux perçants soulignés d’énormes poches. Même lorsqu’il dit : « Je vous prie », il le dit d’un ton péremptoire. « Dans quelle guerre t’es-tu battu ? » pensa Michael en se dirigeant vers sa chaise.
Tous les visages le suivirent des yeux, comme les canons d’un croiseur se préparant à bombarder une ville. « Fantastique, pensa Michael en s’asseyant, j’ai vécu dix ans dans ce voisinage et je n’ai jamais rencontré un seul de ces individus. Ils devaient être tous cachés dans quelque cave, attendant l’occasion de se manifester. »
Un drapeau américain était tendu le long du mur, derrière le conseil. En vrai tissu, cette fois, qui formait une tache de couleur dans la triste pièce, derrière les costumes bleus et gris et les teints jaunes des membres du conseil. Michael eut une vision soudaine de milliers de pièces semblables, dans tout le pays, de milliers de personnages grisonnants, soupçonneux, rigides, avec le drapeau derrière eux, les yeux braqués sur des milliers d’hommes et de jeunes gens rétifs, capturés, pleins de hargne. C’était probablement la clef de voûte de cette époque, le symbole de 1942, cette concentration de terreur et de violence et de culpabilité dans ces salles improvisées et sordides, où, seule, la promesse des blessures et de la mort ajoutait un semblant de noblesse au caractère arbitraire du procédé.
– Alors, monsieur Whitacre, dit le président e n feuilletant un dossier, vous réclamez une exemption pour cause de personnes à charge ?
Il regarda Michael d’un air indigné, comme s’il venait de lui dire :
« Alors, c’est bien le revolver avec lequel vous avez tué la victime ? »
– Oui, dit Michael.
– Nous avons découvert, dit le président d’une voix forte, que vous ne viviez pas avec votre femme.
Il jeta autour de lui un regard triomphant, et les membres de la commission approuvèrent avec ardeur.
– Nous sommes divorcés, dit Michael.
– Divorcés ! s’écria le président. Pourquoi aviez-vous caché ce fait ?
– Écoutez, dit Michael. Je vais vous faire gagner du temps. J’ai l’intention de m’engager.
– Quand ?
– Dès que la pièce sur laquelle je travaille sera mise en route.
– Et ça demandera combien de temps ? s’informa un petit homme obèse, à l’autre bout de la table.
– Deux mois, dit Michael.
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