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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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poignée de ta canne…, mais peut-être devrais-je avoir pitié de moi-même. J’ai chaud, et mes mains et mon pas sont fermes… Mais je ne tremblerai jamais de froid, par un après midi d’été, et mes mains ne trembleront jamais de vieillesse. Je suis arrivé à l’entr’acte et ne verrai pas le deuxième acte. »
    De hauts talons martelèrent le trottoir, derrière lui, et Michael regarda la jeune femme qui venait de le dépasser. Elle portait un vaste chapeau de paille, dont le large bord tamisait la lumière qui rosissait son visage. Sa robe verte, sous laquelle on la devinait nue, était mince et fraîche, et légère, et pendait en plis délicieux à ses hanches rondes. Elle avait les jambes nues et brunes. Elle affecta de ne pas remarquer le regard poli, mais admiratif, que lui jeta Michael au passage. Elle accéléra l’allure et marcha, gracieuse, devant lui. Les yeux de Michael errèrent agréablement sur les contours de sa silhouette, et il sourit lorsque la main de la jeune femme vola jusqu’à ses cheveux, pour réparer le désordre imaginaire de sa coiffure, en réponse automatique au fait qu’un jeune homme la suivait du regard et la trouvait belle.
    Michael sourit. « Non, vieillard, pensa-t-il, je ne pensais pas ce que je pensais. Tu peux mourir, vieillard, avec ma bénédiction. J’assisterai volontiers à la fin du repas, quelle qu’elle soit. »
    Plus tard, dans l’après midi, il se surprit à siffler en s’approchant du bar où il avait rendez-vous avec Cahoon pour lui faire ses adieux.

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    VOILA ce qu’ils disaient tout le long du comptoir où ils vendaient de la bière, au PX de Fort-Dix, dans l’État de New Jersey, un soir du fatal été de 1942.
    –  J’ai qu’un seul œil. Un seul. Je l’ai dit à ces salauds-là, mais ils m’ont répondu :
    –  Bon pour le service.
    Et ils disaient :
    –  J’ai une petite fille de dix ans.
    –  Vous êtes séparé de votre femme, qu’ils ont dit bon pour le service.
    L’État grouille de jeunes célibataires sans enfants, et c’est moi qu’ils persécutent.
    Et ils disaient :
    –  Dans le temps, quand y voulaient te mettre le grappin dessus, t’allais voir un spécialiste et y te flanquait une petite hernie qui te permettait de couper À cinquante guerres. Mais en Amérique, maintenant, y te regardent et y disent :
    –  C ’est rien, fiston, on va te remettre à neuf, en moins de deux. Bon pour le service.
    Et ils disaient :
    –  Vous appelez ça de la bière ? Dès que le gouvernement fourre son nez quelque part, tout pue, même la bière.
    Et ils disaient :
    –  Tout ça, c’est une question de piston. T’aurais beau coucher Joe Louis au deuxième round, si t’avais quoiqu’un dans la commission, y t’ajourneraient pour faiblesse de constitution.
    Ht ils disaient :
    –  J’ai des ulcères comme y en a pas, mais y s’voient pas à la radio, d’après eux. « Bon pour le service », qu’ils ont dit. Y seront pas contents avant d’avoir ma peau. Y me décoreront ensuite pour hyperacidité et me feront des funérailles militaires. J ’ai pas encore goûté à leur cuisine, mais j’arriverai pas toujours à me débrouiller. Un seul de leurs repas et ils ont mon cadavre sur les bras. Je les ai avertis, pourtant, mais tout ce qu’ils ont dit, c’est :
    –  Bon pour le service.
    Et ils disaient :
    –  Ça m’est égal de croupir dans leur armée, mais, ce qui me défrise, c’est qu’ils me retiennent vingt-deux dollars par mois pour les envoyer à ma femme ! Y a onze ans que je suis séparé de ma femme, et elle a couché avec tous les hommes de dix-huit à cinquante ans, entre ici et le Lac Salé. Mais ça les empêche pas de me retenir vingt-deux dollars.
    Et ils disaient :
    –  Quand je sortirai d’ici, j’irai casser la gueule du président de ma commission de recrutement. Je lui ai dit que je voulais être dans la marine. J’aime la mer, que je lui ai dit, mais y m’a répondu :
    »  – Vous apprendrez à aimer la terre. Bon pour le service.
    Et ils disaient :
    –  Écoute-moi bien, mon pote, quand y te font mettre en formation, mets-toi dans le milieu. Pas devant, ni derrière, ni sur les côtés. Dans le milieu. Autrement, t’es toujours refait pour les corvées. Et reste jamais le jour dans la tente, parce qu’y en a toujours un pour rôder par là, et y peuvent pas voir un type roupiller. Dès qu’y te voient sur le dos , y t’attrapent et

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