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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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y te mettent à décharger les camions, dans les entrepôts.
    Et ils disaient :
    –  J’aurais pu me faire planquer comme affecté spécial, mais il me fallait un peu de temps, et ils avaient hâte de m’avoir. Je suis sûr qu’ils en dormaient plus la nuit, tellement ils avaient hâte de m’avoir.
    Et ils disaient :
    –  Tu vois, ces deux types qui marchent de long en large, avec tout leur barda sur le dos  ? Ça fait cinq jours qu’ils se baladent comme ça, une, deux, une, deux ; ils ont dû faire au moins trois cents kilomètres. Ils étaient allés boire de la bière à Trenton, et un sergent les a coincés, et y marcheront comme ça jusqu’à ce qu’y soient embarqués. Pour quelques verres de bière, tu te rends compte ! Et ils appellent ça un pays libre.
    Et ils disaient :
    –  Si y te demandent si tu sais taper à la machine, réponds, oui, je sais taper à la machine. Ça fait rien si tu sais taper ou non. Tu lui dis que tu sais taper. Ils adorent les dactylographes, dans c’t armée. Et tu peux être sûr qu’y mettent pas leurs machines à écrire là où elles peuvent être esquintées. Si tu leur dis que tu sais pas taper, y te versent dans l’infanterie et tu peux télégraphier à ta mère de commander ta couronne.
    Et ils disaient :
    –  Y font plus attention à l’instrument d’un homme, dans cette armée, qu’une Espagnole privée d’amour depuis 1937. Y a pas une journée que je suis dans l ’armée, et ils l ’ont déjà examiné trois fois. Qu’est-ce qu’y veulent qu’on aille faire au Japon ? Tuer les Japs, ou violer leurs femmes ?
    Et ils disaient :
    –  C’est toujours l’aviation qu’a le beau rôle.
    Et ils disaient :
    –  On se fait pas tuer dans l’artillerie.
    Et ils disaient :
    –  C’est la pire compagnie de tout Fort-Dix. Ils ont surpris un cuistot en train de donner à bouffer à un tôlard et ils l’ont fait passer au conseil de guerre !
    Et ils disaient :
    –  C’est la première nuit que je passe pas avec ma femme depuis 1931.
    Et ils disaient :
    –  Qu’est-ce que tu dis de ça. Y te vendent la Bible pour vingt-cinq cents. Édition brochée.
    Et ils disaient :
    –  Oh ! vains dieux, les voilà qui ferment !
    Michael descendit les marches constellées de crachats de la cantine et marcha lourdement sur le sol de New Jersey. Il avait trop bu de bière, son treillis sentait le linge sale, et les brodequins de l’armée lui avaient déjà mis les pieds en sang. Il dépassa les deux silhouettes fatiguées qui marchaient de long en large, avec tout leur paquetage sur le dos , en expiation des verres de bière bus à Trenton, la partie de poker qui avait commencé la veille et ne se terminerait qu’à la mort des joueurs ou à la reddition du Japon, les hommes qui empaquetaient leurs vêtements civils pour les remettre à la Croix-Rouge, les soldats de première classe, ces êtres d’élite dotés d’innombrables privilèges, qui criaient présentement d’une voix rauque :
    –  Couvre-feu dans dix minutes, les gars ! Couvre-feu dans dix minutes  !
    Il entra dans sa tente, se déshabilla lentement, et en caleçon et maillot de corps, se glissa sous la couverture râpeuse. Il avait eu honte de partir pour la guerre avec un pyjama.
    Bientôt, le type d’Elmira, qui dormait près de l’entrée de la tente, alla éteindre la lumière. Il y avait déjà trois semaines qu’il était là, parce qu’il était vétérinaire et que, faute d’animaux à soigner, l’armée n’avait pu encore lui découvrir un poste en rapport avec ses compétences. C’était lui qui éteignait la lumière, chaque soir, parce qu’il était le plus ancien de la chambrée et qu’il était naturel de le voir se charger de ces choses-là.
    À la droite de Michael, le Sicilien, qui prétendait savoir lire et écrire et devait rester sur place pendant trois mois à attendre sa naturalisation, ronflait déjà comme un sonneur.
    Michael ne savait rien des autres occupants de la tente. Allongés dans l’obscurité, ils écoutaient ronfler le Sicilien, et s’agiter alentour tous ces hommes qui n’étaient déjà plus des civils et n’étaient pas encore des soldats, mais qui, d’une manière approximative, étaient là pour apprendre à mourir.
    « Je suis là, pensa Michael, j’y suis, c’est arrivé. J’aurais dû courir au-devant, et je ne l’ai pas fait. J’aurais pu l’esquiver et je ne l’ai pas fait. Je suis là, avec les

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