Le Bal Des Maudits - T 1
scotches, et sourit à Arney, l’auteur de Printemps tardif. Arney continua simplement à regarder droit devant lui, sans rien dire, portant sa tasse à ses lèvres, parfois, d’un geste élégant et tremblant.
– K. O., dit l’homme au complet de serge bleue. K. O. e t toujours debout. L’arbitre aurait dû arrêter le combat pour l’empêcher de se faire corriger davantage.
Arney regarda autour de lui, souriant furtivement, posa sa tasse dans la soucoupe et poussa le tout vers le barman.
– Encore un peu de thé, je vous prie, dit-il.
Le barman emplit la tasse de whisky, et Arney regarda autour de lui, une seconde fois, avant de l’accepter.
– Hello ! Whitacre, dit-il. Madame Whitacre. Vous ne direz rien à Félice, n’est-ce pas ?
– Non, Wallace, dit Michael. Je ne lui dirai rien.
– Dieu merci ! reprit Arney, Félice a une indigestion. Il y a une heure qu’elle est au water. Elle ne veut même pas me laisser boire un verre de bière.
Sa voix rauque et saturée de whisky se brisa dans un paroxysme d’auto compassion.
– Même pas un verre de bière ! Vous vous rendez compte ? C’est pourquoi j’emporte toujours une tasse à thé. À une distance de trois pieds, il est impossible de voir la différence. Après tout, continua-t-il en dégustant son alcool d’un air de défi, je suis assez grand pour savoir ce que je dois faire. Elle veut que j’écrive une autre pièce.
Il prit un air offensé.
– Sous prétexte qu’elle est la femme de mon producteur, elle se croit autorisée à m’enlever le verre de la main. C’est humiliant. Un homme de mon âge ne devrait pas être exposé à de telles humiliations.
Il se tourna vaguement vers l’homme au complet de serge bleue.
– M. Parrish ici présent boit comme une éponge et personne ne l’humilie. Tout le monde dit : « Est-ce » que ce n’est pas touchant la façon dont Félice se » dévoue pour cet ivrogne de Wallace Arney ? » Mais ça ne me touche pas. M. Parrish et moi savons parfaitement pourquoi elle le fait. N’est-ce pas, monsieur Parrish ?
– Sûr, mon pote, dit l’homme au complet de serge bleu.
– L’argent, comme toujours.
Arney agita brusquement sa tassé et répandit du whisky sur la manche de Michael.
– M. Parrish est communiste, et il le sait bien. La base de toute action humaine. L’avarice, l’appât du gain. S’ils n’étaient pas persuadés de pouvoir me faire pondre une autre pièce, ils se moqueraient bien de me voir vivre dans une distillerie. Je pourrais baigner dans l’absinthe et le tafia et ils diraient : « Merde pour Wallace Arney. » Sauf votre respect, madame Whitacre.
– Ça ne fait rien, dit Laura.
– Votre femme est très jolie, dit Arney. Vraiment très jolie. J’ai entendu parler d’elle ce soir en termes enthousiastes.
Il adressa à Michael un clin d’œil égrillard.
– Enthousiastes. Elle a plusieurs vieux amis parmi les invités de ce soir. N’est-ce pas, madame Whitacre ?
– Oui, dit Laura.
– Tout le monde a plusieurs vieux amis parmi les invités de ce soir, dit Arney. Ainsi vont les réceptions mondaines, de nos jours. Un nid de serpents hivernants tous enroulés les uns autour des autres. Ce sera peut-être le thème de ma prochaine pièce. Sauf que je ne l’écrirai pas.
Il s’accorda une longue gorgée de whisky.
– Excellent thé. Ne dites rien à Félice.
Michael prit le bras de Laura et se disposa à partir.
– Ne partez pas. Whitacre, dit Arney. Je sais que je vous ennuie, mais ne partez pa s. Je veux vous parler. De quoi voulez-vous parler ? D’Art ?
– Une autre fois, dit Michael.
– Je me suis laissé dire que vous étiez un jeune homme très sérieux, insista Arney. Parlons d’Art. Comment a marché ma pièce, ce soir ?
– À merveille, assura Michael.
– Non, dit Arney. Je ne parlerai pas de ma pièce. J’ai dit que je parlerais d’Art, et je sais ce que vous pensez de ma pièc e tout le monde, à New York, sait ce que vous pensez de ma pièce. Vous l’ouvrez beaucoup trop, et, si ça dépendait de moi, je vous ficherais à la porte. Je vous parle amicalement, pour l’instant, mais’je vous ficherais à la porte.
– Vous êtes saoul, Wally, dit Michae l.
– Je ne suis pas assez profond pour vous, continua Arney.
Ses yeux bleu pâle étaient liquides ; sa lèvre inférieure, humide et charnue, tremblait dès qu’il reprenait la parole.
–
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