Le Bal Des Maudits - T 1
répondre , lui aussi :
– À Madrid.
Ils burent.
– Quand êtes-vous revenu ? demanda Michael.
Il se sentait gêné d’en parler ainsi.
– Il y a quatre jours, dit Parrish.
Il porta son verre à ses lèvres, une fois de plus.
– Vous avez du fort bon alcool, dans ce pays, constata-t-il.
Il buvait sec, remplissant son verre toutes les cinq minutes. Il rougissait un peu plus, à mesure que le temps passait, mais ne paraissait pas autrement affecté.
– Quand avez-vous quitté l’Espagne ? demanda Michael.
– Il y a quinze jours.
« Il y a quinze jours, pensa Michael, sur les routes gelées, avec les fusils, et les uniformes improvisés, et les avions au-dessus de sa tête, et les tombes fraîchement creusées. Et maintenant, il est là devant moi, avec son complet de serge bleue, comme un chauffeur de camion à son propre mariage, à remuer des cubes de glace dans son verre, avec des gens qui parlent de leur dernier film et de ce qu’en ont dit les critiques, et de ce qu’a dit le docteur de l’habitude qu’a prise le bébé de dormir avec les poings sur les yeux ; avec ce type qui joue de la guitare en chantant de fausses ballades du Sud, dans un coin d’un riche appartement surpeuplé et garni d’épais tapis, au onzième étage d’un immeuble moderne, avec vue sur le Parc et la fille aux trois seins écarlates au-dessus du bar. » Et, dans peu de temps, il redescendrait jusqu’au fleuve qu’on apercevait des fenêtres, et s’embarquerait sur un bateau, et repartirait. Et il ne portait aucune marque de ce qu’il avait traversé, et il n’y avait, dans l’enjouement fruste de sa façon d’agir, aucune trace de ce qui l’attendait.
« La race humaine, pensa Michael, est d’une flexibilité insensée. » Il était considérablement plus vieux que Michael, il avait, sans aucun doute, mené une vie beaucoup plus dure, et cependant il revenait de là-bas, des marches forcées sur le sol sanglant. Il avait tué, il avait risqué d’être tué, et il y retournerait bientôt, pour le même prix… Michael secoua la tête, se méprisant un instant en réalisant qu’il regrettait que Parrish soit présent à cette party , t el un policeman rougeaud et courtois de sa propre conscience.
– L’argent, voilà ce qui compte, disait Parrish à Laura, l’argent et la pression politique. Nous pouvons trouver des tas de types qui veulent se battre. Mais le gouvernement britannique a mis sous séquestre tout l’or gouvernemental de Londres, et Washington aide Franco. Il faut que nous passions nos bougres en contrebande, et il nous faut de l’argent pour les pots-de-vin, et les passages, et tout le reste. Un jour, nous étions en ligne et il faisait froid, bon Dieu ! Il y avait de quoi geler les tripes d’une baleine, et ils sont venus me trouver, et ils m’ont dit « Parrish, mon garçon, tu » ne fais que gâcher des munitions ici. On ne t’a pas » encore vu toucher un seul fasciste. Alors, comme tu » as la parole facile, on a décidé que tu retournerais » aux États-Unis pour leur raconter de belles histoires bien juteuses et bien bouleversantes sur les héros » de l’immortelle Brigade Internationale, à l’avant » garde du combat contre les fascistes. Et ne reviens » qu’avec les poches garnies. » Alors, je prends la parole dans les meetings et je laisse courir mon imagination, et, en un rien de temps, les assistants crèvent d’émotion et de générosité, et, avec le pognon qui rentre et toutes les filles, je me demande si je n’ai pas trouvé ma vraie place dans le combat pour la liberté.
Il sourit, révélant l’éclat optimiste de ses fausses dents brillamment régulières, et poussa son verre vide dans la direction du barman.
– Vous voulez entendre quelques récits sanglants de l’horrible combat pour la liberté dans l’Espagne torturée ?
– Non, dit Michael. Pas après cette introduction.
– La vérité, dit Parrish, soudain sérieux et sobre, la vérité n’est pas pour ces gens-là.
Il se retourna, et son regard parcourut la pièce. Pour la première fois, Michael sentit, derrière ces yeux froids, durs et calculateurs, l’étendue des épreuves que Parrish avait dû traverser.
– Les hommes qui courent, les jeunes gars qui ont parcouru cinq mille milles pour en arriver là, tout surpris de s’apercevoir qu’ils sont en train de mourir, eux-mêmes, sur place, avec une balle dans leur propre petit
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