Le Bal Des Maudits - T 1
table de nuit. Sa photo souriait toujours, près des jonquilles, mais les jonquilles commençaient à se faner.
– Elle a dit qu’elle s’en doutait, d’après le nom, continua Hope, mais je n’avais pas l’air d’une Juive. Lorsqu’elle t’a vu, elle a recommencé à se le demander. Puis elle me l’a demandé, et je lui ai répondu que nous étions Juifs.
– Pauvre Hope, dit doucement Noah. Je te demande pardon.
– Pas de ça, coupa Hope. Ne me redis jamais quelque chose comme ça. Je ne veux pas que tu me demandes jamais pardon de quoi que ce soit.
– O. K, dit Noah.
Ses doigts effleurèrent les jonquilles. Les pétales étaient morts et tendres.
– Je suppose qu’il ne nous reste plus qu’à faire nos bagages.
– Oui, dit Hope.
Elle posa sa valise sur le lit, et l’ouvrit.
– Cela n’a rien de personnel, ajouta-t-elle. C’est simplement un principe de la maison.
– Heureux de savoir que ça n’a rien de personnel, dit Noah.
– Ce n’est pas tellement grave.
Hope commença à ranger ses vêtements dans sa valise, avec le soin méticuleux qui lui était propre.
– Nous n’aurons pas de mal à trouver autre chose.
Noah prit la brosse à cheveux, sur la table de nuit.
Elle avait une monture d’argent, polie par l’usage, et ornée d’un vieux motif de feuilles victoriennes. Elle brillait faiblement, sous le jour tamisé de la petite chambre.
– Non, dit-il, nous ne trouverons pas autre chose.
– Mais nous ne pouvons pas rester ici…
– Nous ne resterons pas ici et nous ne trouverons pas autre chose, dit Noah d’une voix monocorde.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
Inquiète, Hope cessa de refaire sa valise et le regarda.
– Je veux dire que nous allons voir quand part le premier autocar pour New York et que tu vas le prendre.
Le silence pesa sur la petite pièce. Immobile, Hope contemplait sans les voir les sous-vêtements roses qu’elle venait de remettre dans sa valise.
– Je ne pourrai pas avoir d’autre semaine avant Dieu sait combien de temps, murmura-t-elle. Et nous ne savons pas ce qui t’arrivera. Tu peux être envoyé en Afrique, à Guadalcanal, n’importe où.
– Je crois qu’il y a un car vers cinq heures, dit Noah.
– Chéri…
Hope refusait toujours de bouger, pensive et belle, de l’autre côté du lit.
– Je suis sûre que nous pourrions trouver autre chose dans cette ville…
– J’en suis sûr également, approuva Noah. Mais nous ne chercherons même pas. Je veux rester seul ici, c’est tout. Je ne peux pas t’aimer dans cette ville. J e veux que tu la quittes et que tu n’y reviennes jamais. Le plus tôt sera le mieux. Je pourrais incendier ou bombarder cette ville, mais je refuse de t’y aimer.
Hope contourna le lit et prit Noah par les épaules.
– Mon amour, dit-elle en le secouant de toutes ses forces. Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
– Rien, cria Noah. Rien ! Je te raconterai ça après la guerre ! Maintenant, finis ta valise et fichons le camp d’ici !
Hope le lâcha, découragée.
– Bien sûr, dit-elle à voix basse.
Elle alla terminer sa valise.
Dix minutes plus tard, ils étaient prêts. Noah sortit, portant la valise de sa femme et le petit sac de toile dans lequel il avait mis sa chemise de rechange et son nécessaire à raser. Il ne regarda pas en arrière lorsqu’il fut sur le palier, mais Hope se retourna, avant de refermer la porte. Le soleil se glissait à travers les fentes des volets disloqués, saupoudrant la pièce d’une poussière d’o r. Les jonquilles se courbaient, à présent, par-dessus le rebord du vase, comme si l’approche de la mort avait rendu leurs fleurs plus lourdes. Mais la chambre était semblable à ce qu’elle avait été lorsqu’elle y était entrée pour la première fois. Doucement, elle referma la porte et suivit Noah dans l’escalier.
La propriétaire ne dit pas un mot lorsque Noah lui régla le prix de la chambre. Elle resta immobile et muette, dans sa sueur, sa vieillesse et son eau de vaisselle, et, du perron, suivit des yeux le Soldat et la jeune femme qui remontaient lentement la rue, vers la station des autocars.
Quelques hommes dormaient déjà dans la chambrée lorsque Noah y entra à son tour. Manifestement ivre, Donnelly ronflait près de la porte, mais personne ne faisait attention à lui. Noah posa son sac sur sa couchette et, avec un soin méticuleux, en
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