Le Bal Des Maudits - T 1
culture inattendue.
Le chauffeur s’arrêta devant l’église et regarda sans vergogne les trois jeunes filles. L’une d’elles, une brune appétissante, qui tenait dans sa main droite un bouquet de fleurs de jardin, s’esclaffa ; les deux autres jeunes filles suivirent son exemple, et toutes trois contemplèrent, avec un intérêt non dissimulé, les deux voitures pleines de soldats.
Christian sauta à terre.
– Venez, interprète, dit-il à Brandt.
Brandt le suivit, portant sa caméra.
Christian s’approcha des jeunes filles.
– Bonjour, mesdemoiselles, dit-il, en français, étant soigneusement son casque, en un salut aimable et nullement officiel.
Les jeunes filles rirent encore, et la brune dit à ses compagnes, en un français que Christian était capable de comprendre :
– Ce qu’il parle b ien !
Christian se sentit absurdement flatté et continua, dédaignant d’utiliser le français supérieur de Brandt :
– Dites-moi, mesdemoiselles – il butait à peine sur les mots – des soldats à vous sont-ils passés par ici, récemment ?
– Non, monsieur, répondit la grande brune en souriant, comme si ce qu’il venait de lui dire constituait une aimable invitation. Nous avons été complètement abandonnés. Allez-vous nous faire du mal ?
– Nous n’avons pas l’intention de faire du mal à personne, répondit soigneusement Christian, surtout à trois jeunes filles aussi belles.
– Eh bien ! écoutez-moi ça ! commenta Brandt, en allemand.
Christian sourit. Il était fort agréable d’être debout devant l’église de cette vieille ville, sous le soleil matinal, contemplant, par l’entrebâillement du mince corsage, la naissance des seins plantureux d’une jolie fille et flirtant avec elle dans un langage peu familier. C’était une de ces choses auxquelles on ne pense pas, quand on part pour la guerre.
– Eh bien ! vrai, dit la brune en lui rendant son sourire. Est-ce ce qu’ils vous apprennent, dans les écoles militaires de votre pays ?
– La guerre est finie, dit solennellement Christian, et vous verrez bientôt que nous sommes de vrais amis de la France.
– Oh, oh, dit la brune, quel merveilleux propagandiste !
Elle lui jeta un regard aguichant, et Christian eut un instant la folle pensée de s’attarder une heure dans cette ville.
– Il va en arriver beaucoup, comme vous ?
– Dix millions, affirma Christian.
La jeune fille leva les bras, en un geste faussement désespéré.
– Oh, mon Dieu ! dit-elle, qu’allons-nous faire de tout ce monde-là ? Tenez…
Elle lui offrit ses fleurs.
– Parce que vous êtes le premier.
Il regarda les fleurs, surpris, et les accepta gentiment. Un geste si jeune, si humain, si plein de perspectives pour l’avenir…
– Mademoiselle…
Son français lui manqua.
– Je ne sais comment le dire, mais… Brandt !
– Le sergent, enchaîna rapidement Brandt, dans son français correct et idiomatique, veut dire qu’il vous remercie beaucoup et qu’il les accepte en gage des liens qui unissent nos deux grands pays.
– Oui, dit Christian, jaloux de sa science. Exactement.
– Ah ! dit la jeune fille. Il est sergent. C’est un sous-officier.
Son sourire s’élargit encore, et Christian songea, amusé : « Elles ne sont pas tellement différentes des filles de chez nous. »
Des pas résonnèrent derrière lui, clairs et sonores, sur les pavés inégaux. Le bouquet à la main, Christian se retourna. Il sentit un coup bref, sur ses doigts, un coup léger, mais sec, et les fleurs lui échappèrent et s’éparpillèrent sur les pavés.
Un vieux Français en costume noir et chapeau de feutre verdâtre venait de surgir à son côté, brandissant une canne. Un ruban militaire ornait sa boutonnière, et son visage maigre était empourpré de rage. Il regardait furieusement Christian.
– Vous avez fait ça ? demanda Christian au vieillard.
– Je ne parle p as aux Allemands, répliqua le vieillard.
Son port de tête, son visage ridé, tanné par les intempéries, donna à Christian l’impression qu’il se trouvait en face d’un vieux soldat de carrière, habitué à commander. Le vieillard se tourna vers les jeunes filles.
– Putains ! dit-il. Couchez-vous donc ! Levez vos jupes et que tout soit dit !
– Ah ! Coupa la brune en colère, restez tranquille, capitaine, vous vous trompez de guerre.
Christian se sentait ridicule, entre ces trois
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