Le Bal Des Maudits - T 1
jolies filles et ce vieux capitaine, mais il ne savait que faire. Ceci n’était pas exactement une situation militaire, et il ne pouvait utiliser la force contre un homme de soixante-dix ans.
– Des Françaises !
Le vieillard cracha par terre.
– Des fleurs pour les Allemands ! Ils viennent de tuer vos frères et vous leur offrez des bouquets !
– Ce ne sont que des soldats, dit la jeune fille. Ils sont loin de chez eux, et ils sont si jeunes et si beaux dans leurs uniformes !
Elle souriait avec impudence à Brandt et à Christian, et Christian ne put s’empêcher de rire devant ce raisonnement direct et essentiellement féminin.
– Très bien, mon vieux, dit-il. Nous n’avons plus les fleurs. Retournez à votre verre.
Il posa un bras amical sur les épaules du vieillard. Violemment, le vieillard se dégagea.
– À bas les pattes ! Sale boche ! cria-t-il.
Il retraversa la place, martelant le sol des talons.
– Ooh la la ! dit le chauffeur de Christian en secouant la tête d’un air désapprobateur, sur le passage du vieil homme.
Le vieillard ne fit pas attention à lui.
– Français ! Françaises ! cria-t-il à la ronde, en se dirigeant vers le café. Pas étonnant que les Boches soient ici ! Pas de cœur, pas de courage ! Un coup de pétard, et ils détalent à travers bois comme des lapins. Un sourire, et elles couchent avec toute l’armée allemande. Pas de travail, pas de foi, pas de combat ; tout ce qu’il savent faire, c’est céder ! Céder sur le front, céder dans les plumards ! Il y a vingt ans que la France s’entraîne pour ça, et maintenant c’est tout à fait au point !
– Ooh la la ! répéta le chauffeur de Christian, qui comprenait le français.
Il se pencha, ramassa une pierre et la jeta à travers la place, dans la direction du Français. Elle le manqua, mais brisa derrière lui, une vitre du café. Il y eut le bruit sec du verre fracassé, et le silence retomba sur la place. Le vieux Français ne se retourna même pas pour constater l’étendue des dégâts. L’air féroce e t profondément ulcéré, il était assis, appuyé sur sa canne, et regardait les Allemands. Christian s’approcha du chauffeur.
– Pourquoi avez-vous fait ça ? demanda-t-il calmement.
– Il faisait trop de bruit, dit le conducteur. C’était un gros homme laid et insolent comm e un chauffeur de taxi berlinois, et Christian le détestait cordialement.
– Il faut leur inculquer le respect de l’armée allemande.
– Ne recommencez jamais, ordonna Christian. Jamais. Compris ?
Le chauffeur rectifia légèrement sa position, mais ne répondit pas. Il se contenta de fixer sur son supérieur un regard atone et ambigu, au fond duquel errait toujours un soupçon d’insolence. Christian se détourna.
– Très bien, dit-il. En route.
Les jeunes filles paraissaient légèrement assagies. Elles ne levèrent pas la main, en signe d’adieu, lorsque les deux automobiles traversèrent la place et reprirent la route de Paris.
Christian fut un peu déçu lorsque sa voiture parvint à proximité du bloc sculpté de la porte Saint-Denis et qu’il découvrit le place encombrée de véhicules armés et d’uniformes gris, les hommes qui flânaient sur les trottoirs, autour de la cuisine roulante, offrant au monde le spectacle d’une garnison bavaroise se préparant pour la parade un jour de fête nationale. Christian n’était jamais venu à Paris, et ç’a urait été pour lui une merveilleuse aventure que d’être le premier à rouler doucement à travers les rues historiques, conduisant l’armée allemande jusqu’au cœur de la capitale ennemie.
Il roula lentement, parmi les troupes au repos et les fusils en faisceaux, jusqu’à la base du monument. Il fit signe à Himmler, dans la voiture de queue, de s’arrêter. C’était le point de ralliement où ils avaient reçu l’ordre d’attendre le reste de la compagnie.
Christian ôta son casque et s’étira sur son siège. La mission était terminée…
Brandt sauta de la voiture et se mit à prendre des photos de soldats cassant la croûte, adossés au monument. Même avec son uniforme et l’étui de cuir noir pendant à sa ceinture, Brandt avait toujours l’air d’un employé de banque en vacances prenant des photos pour l’album de famille. Brandt avait ses propres théories, au sujet des photographies. Il choisissait invariablement les soldats les plus jeunes et les plus beaux. Il
Weitere Kostenlose Bücher