Le Bal Des Maudits - T 1
pierre. Puis il dut recharger son arme et s’assit sur le sol, tentant fiévreusement d’ouvrir la culasse, qui était neuve et dure. Une détonation retentit à sa gauche, Kraus se mit à hurle r – Je l’ai eu, je l’ai eu, – comme un gosse à sa première chasse au faisan.
Et il vit le Français glisser lentement dans l’herbe, la face contre terre.
Kraus courut vers le Français, comme s’il avait craint de voir un autre chasseur réclamer son gibier. Il y eut deux autres coups de feu ; Kraus tomba dans un buisson touffu et y demeura, presque debout, avec le buisson vibrant sous lui, donnant à sa silhouette figée une sorte de vie électrique. Brandt avait réussi à débloquer le cran de sûreté de son pistolet et tirait au hasard, dans un buisson, le bras mou , le coude ballant. Il était assis dans l’herbe, les lunettes de travers, mordant ses lèvres, son coude droit dans sa main gauche, en une vaine tentative d’empêcher son bras de trembler. Christian avait remis un nouveau chargeur dans sa mitraillette. Il la pointa vers le buisson et se mit à tirer, lui aussi. Un fusil en jaillit soudain ; un homme en sortit, les bras en l’air. Christian cessa de tirer. Le silence retomba sur la forêt, et Christian sentit, alors, l’odeur âcre d ésagréable, de la poudre brûlée.
– Venez, cria Christian, en français, Venez ici.
Quelque part dans sa tête, en plus du bourdonnement laissé derrière eux par les coups de feu, il y avait une petite pointe d’orgueil devant cet accès spontané de français.
Les mains toujours en l’air, l’homme avança lentement vers eux. Son uniforme était sale, débraillé ; son visage vert de fatigue et d’effroi sous sa barbe de plusieurs jours. Ses lèvres étaient écartées, et sa langue léchait les coins desséchés de sa bouche.
– Tenez-le en joue, dit Christian à Brandt qui, invraisemblablement, prenait des photographies du Français.
Brandt se releva et menaça le vaincu de son pistolet. L’homme s’arrêta. Il paraissait sur le point de s’écrouler, et ses yeux étaient implorants et sans espoir. Christian passa près de lui pour se diriger vers le buisson aux branches duquel pendait le corps de Kraus. Le buisson avait cessé de vibrer, et Kraus avait l’air plus mort, à présent. Christian l’étendit sur le sol. Le visage de Kraus avait une expression excitée et joyeuse.
En trébuchant, la tête encore douloureuse de la gifle assenée par la balle et le sang coulant sur son oreille, Christian se rendit auprès du Français que Kraus avait tué. Il gisait sur le ventre, avec une balle entre les deux yeux. Il était très jeune, l’âge de Kraus, et son visage avait été fortement endommagé par la balle. Christian se hâta de le laisser retomber sur le sol. Que de dégâts font ces amateurs, pensa Christian. Quatre balles échangées : deux cadavres.
Christian porta la main à l’écorchure de sa tempe ; elle avait déjà cessé de saigner. Il retourna à Brandt et lui dit d’ordonner au prisonnier de rejoindre ses camarades, de leur dire qu’ils étaient cernés, et de leur demander de se rendre, sous peine de total anéantissement. « Mon premier vrai jour de guerre, pensait-il, tandis que Brandt traduisait ses paroles, et je lance des ultimatums comme un major général. » Il sourit. Sa tête était légère et vide, et il n’était pas certain de ne pas se mettre à pleurer ou à rire, d’un moment à l’autre.
Le Français faisait oui de la tête, de temps en temps, d’un air emphatique, et répondait aux questions de Brandt, trop vite pour que Christian puisse comprendre.
– Il dit qu’il va le faire, dit Brandt.
– Dites-lui, répliqua Christian, que nous allons le suivre et que nous l’abattrons au premier signe de traîtrise.
Le Français approuva vigoureusement lorsque Brandt lui traduisit cet ultime conseil, comme s’il se fût agi de la chose la plus naturelle du monde. Ils marchèrent à travers la forêt, vers la barricade, au-delà du corps de Kraus, qui paraissait détendu et en pleine santé, couché dans l’herbe humide, avec le soleil luisant sur son casque, à travers les branches.
Ils laissèrent leur prisonnier marcher à dix pas devant eux. Il s’arrêta à la lisière de la forêt, qui dominait la route de près de trois mètres, bordée d’un petit mur de pierre.
– Émile, appela le Français. Émile… C’est moi, Morel. Il escalada le petit mur et
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