Le Bal Des Maudits - T 1
s’efforçait de choisir toujours des garçons très blonds, simples soldats et officiers subalternes. « Ma fonction, avait-il dit un jour à Christian, est de rendre la guerre attrayante pour les gens de l’arrière. » Ses théories semblaient remporter un franc succès, car il avait été nommé à Paris et recevait constamment des félicitations du Grand Quartier Général de la Propagande, à Berlin.
Deux petits enfants erraient timidement parmi les soldats, seuls représentants de la population civile parisienne qu’ils aient aperçus jusqu’alors. Brandt les amena auprès de la voiture, sur le capot de laquelle Christian nettoyait sa mitraillette.
– Faites-moi une faveur, dit Brandt. Posez avec ces deux-là.
– Cherchez quelqu’un d’autre, protesta Christian. Je ne suis pas acteur.
– Je veux vous rendre célèbre, dit Brandt. Penchez-vous vers eux et offrez-leur des bonbons.
– Je n’ai pas de bonbons, répondit Christian.
Les deux enfants, un garçon et une petite fille qu i ne devait pas avoir plus de cinq ans, se tenaient devant les roues de la voiture et levaient vers Christian le regard triste, grave et profond de leurs yeux noirs.
– Voilà.
Brandt tira du chocolat de sa poche et le donna à Christian.
– Le bon soldat est prêt à toute éventualité.
Christian soupira et posa le canon démonte de s a mitraillette. Il se pencha vers les deux jolis enfant s en haillons.
– Excellents spécimens, dit Brandt, s’accroupis avec sa caméra à la hauteur de l’œil. La jeunesse de France, jolie, triste, confiante, sous-alimentée. Le beau sergent allemand, joyeux, généreux, athlétique, amical, photogénique…
– Fichez-moi le camp, dit Christian.
– Gardez le sourire, beauté.
Brandt prenait, sous divers angles, toute une série d’instantanés.
– Et ne le leur donnez pas jusqu’à ce que je vous le dise. Offrez-le leur simplement et faites-les lever les bras pour l’atteindre.
– J’aimerais que vous vous souveniez, dit Christian, en souriant aux sombres petits visages, que je suis toujours votre supérieur.
– L’Art avant tout, répliqua Brandt. J’aimerais mieux que vos cheveux soient blonds. Vous faites un bon modèle de soldat allemand, sauf pour les cheveux. Vous paraissez avoir réfléchi, une fois au moins dans votre vie, et ça non plus ne se trouve pas facilement.
– Je me demande, dit Christian, si je ne devrais pas vous signaler pour propos portant atteinte à l’honneur de l’armée allemande.
– L’artiste, dit Brandt, plane au-dessus de ces mesquines considérations.
Il acheva rapidement ses photographies et dit :
– Ça va.
Christian donna le chocolat aux enfants, qui gardèrent le silence. Ils se bornèrent à le regarder solennellement, fourrèrent le chocolat dans leurs poches et s’éloignèrent, main dans la main, parmi les chenilles des tanks, et les bottes , et les fusils.
Une auto blindée, suivie de trois véhicules de reconnaissance, pénétra lentement sur la place et vint se ranger contre le détachement de Christian. Christian sentit une légère mélancolie l’envahir en reconnaissant le lieutenant. Son indépendance était révolue. Il salua, et le lieutenant lui rendit son salut. Le lieutenant avait un des plus beaux saluts dans toute l’histoire de l’armée. On entendait, lorsqu’il levait le bras, le cliquetis des sabres et des éperons depuis les campagnes d’Ajax et d’Achille. Même à l’issue de son long voyage, depuis l’Allemagne, le lieutenant paraissait brillant et impeccable, comme s’il venait juste de sortir des examens de Spandau, avec un diplôme dans sa main gantée de blanc. Christian détestait le lieutenant et se sentait mal à l’aise devant sa perfection rigide. Le lieutenant était très jeune – vingt-trois ou vingt-quatre ans, – mais, lorsqu’il promenait autour de lui le regard impérieux et froid de ses yeux gris clair, tout un monde de civils maladroits et incompétents semblait jaillir des uniformes qui l’environnaient. Peu d’hommes avaient jamais procuré à Christian le sentiment de sa propre incapacité, mais le lieutenant était un de ceux-là. En le regardant descendre de la voiture blindée, Christian répéta hâtivement son rapport et éprouva de nouveau cette sensation de culpabilité et de négligence qu’il avait ressentie en marchant à travers bois, vers le piège de la barricade.
– Oui, sergent ?
Le lieutenant
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