Le Bal Des Maudits - T 1
s’est fait tuer parce qu’il était trop enthousiaste… » Non, ça ne conviendrait pas non plus. Et pourtant, il faudrait bien leur écrire quelque chose.
Il se détourna en entendant les deux autres voitures s’approcher lentement du lieu de l’escarmouche. Il les regarda venir avec une expression de supériorité impatiente, amusée.
– Approchez, mesdemoiselles, cria-t-il. Il n’y a plus de quoi avoir peur. Les souris ont quitté la pièce.
Les autos s’arrêtèrent à proximité de la barricade, leurs moteurs tournant au ralenti. Le chauffeur de Christian était dans l’une d’elles. Leur propre voiture était inutilisable, dit-il, le moteur criblé, les pneus éclatés. Il était très rouge, bien qu’il se fût contenté de rester allongé dans le fossé pendant toute la durée de la fusillade. Il parlait par à-coups, comme s’il avait peine à retrouver sa respiration, deux ou trois mots à la fois. Christian réalisa que cet homme, qui avait conservé son calme pendant l’escarmouche, était terriblement effrayé, maintenant que tout était fini, et avait complètement perdu le contrôle de ses nerfs.
Christian écouta sa propre voix donner quelques ordres.
– Maeschen, dit-il, vous allez rester ici avec Taub, jusqu’au passage de la prochaine formation.
« La voix est ferme, nota Christian avec satisfaction, les mots sont brefs et efficaces. Je m’en suis bien tiré. Je suis capable de le faire. »
– Maeschen, montez ici dans les bois. À soixante mètres environ, vous trouverez un Français mort. Apportez-le et laissez-le là à côté des deux autres …
Il désigna Kraus et le petit homme qu’il avait tué, allongés l’un près de l’autre sur le bord de la route.
– De manière qu’ils soient correctement enterrés. C’est tout.
Il se tourna vers les autres hommes.
– En route !
Ils s’entassèrent dans les deux voitures. Les conducteurs embrayèrent et ils se glissèrent lentement dans l’espace dégagé. Il y avait du sang sur la route et des débris de matelas et des feuilles piétinées, mais tout semblait, à nouveau, verdoyant et paisible. Même les deux corps allongés dans l’herbe grasse pouvaient être ceux de deux jardiniers faisant la sieste après déjeuner, sur le bord de la route.
Les voitures prirent de la vitesse et sortirent bientôt de l’ombre des arbres. Ils roulaient maintenant en rase campagne, hors de danger d’une nouvelle embuscade. Le soleil brillait, chaud et clair, les faisant transpirer un peu. Mais cela aussi était agréable, après l’atmosphère réfrigérante des sous-bois. « J’ai réussi », pensait Christian. Il avait un peu honte du petit sourire de satisfaction qui tirait les commissures de ses lèvres. « J’ai réussi. J’ai commandé un engagement. J’ai gagné ma place dans l’armée. »
Devant lui, au pied d’une pente, à environ trois kilomètres, s’élevait une petite ville. Deux clochers la dominaient, délicats et moyenâgeux, jaillissant du fouillis des petites maisons de pierre. La ville paraissait sûre et confortable, comme si ses habitants y vivaient en paix depuis le commencement des siècles. Le chauffeur de Christian ralentit en entrant dans la ville. Il ne cessait pas de le regarder nerveusement.
– Continuez, s’impatienta Christian. Il n’y a personne ici.
Le chauffeur appuya docilement sur l’accélérateur.
Vues de près, les maisons ne paraissaient pas aussi jolies et confortables que du haut de la pente. La peinture s’écaillait et tombait des murs sales, et il y régnait une puanteur indéniable ! « Ces étrangers, pensa Christian. Ils sont tous sales. »
La rue tourna, et ils débouchèrent sur la place du village. Des gens étaient debout sur les marches de l’église, d’autres assis à la terrasse d’un café qu’ils furent surpris de trouver ouvert. Au rendez-vous des Chasseurs et des Pêcheurs, lut Christian sur l’enseigne. Cinq ou six personnes y étaient attablées et un garçon servait des consommations à deux d’entre elles, sur ces drôles de petites soucoupes caractéristiques des cafés français. Christian sourit. Drôle de guerre !
Sur les marches de l’église, se tenaient trois jeunes filles en jupes éclatantes.
– Ooooooh, dit le conducteur. Oooh la la !
– Arrêtez-vous ici, dit Christian.
– Avec plaisir, mon colonel, répondit le chauffeur, en français, et Christian le regarda, surpris et amusé par cette
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