Le Bal Des Maudits - T 1
d’une belle fille aux cheveux noirs avec laquelle j’avais couché l’après-midi pour la première fois…
Rêveur, Brandt ferma les yeux et appuya sa tête contre le flanc blindé d’un camion affecté au transport des troupes.
– Elle était persuadée que la fonction du sexe féminin était de plaire aux hommes. Elle avait une voix qui vous faisait la désirer si vous l’entendiez parler à un pâté d’immeubles de distance et les seins les plus remarquables de ce côté-ci du Danube. Nous avons bu du Champagne avant de dîner. Elle portait une robe bleu foncé. Très jeune et très chaste. Il était impossible, en la regardant, d’imaginer qu’on avait fait l’amour avec elle juste une heure auparavant. Nous nous tenions la main, par-dessus la table, et nous avons mangé une omelette inoubliable, arrosée d’une bouteille de chablis. Je n’avais jamais entendu parler du lieutenant Hardenburg, et je savais que, dans une heure et demie, je serais de nouveau couché avec elle, et je me serais fait sauter la cervelle tellement je me sentais heureux…
– Assez ! dit Christian. Vous êtes en train de me corrompre l’esprit.
– C’était au bon vieux temps, dit Brandt, les yeux toujours fermés. Quand je n’étais qu’un civil détestable. Au bon vieux temps, avant que je devienne une grande figure militaire.
– Ouvrez les yeux et tirez-vous de ce lit, dit Christian. Voilà le lieutenant.
Tous deux se mirent au garde-à-vous.
– C’est entendu, dit le lieutenant au photographe. Vous pouvez prendre la voiture.
– Merci, mon lieutenant ! dit Brandt.
– Je vais vous accompagner moi-même, poursuivit le lieutenant. Et je vais emmener Diestl et Himmler. Il est question que notre unité soit affectée dans le voisinage, et le capitaine a suggéré que nous jetions un coup d’œil sur la situation.
Il leur adressa ce qui, pour lui, était manifestement un sourire intime et chaleureux.
– D’ailleurs, nous avons bien gagné une petite promenade touristique. En route.
Il les conduisit vers l’une des voitures. Himmler était déjà installé au volant. Brandt et Christian montèrent à l’arrière. Le lieutenant s’assit sur le siège avant, raide, droit, guindé, brillant représentant de l’armée et de l’État allemands sur les boulevards de Paris.
Brandt esquissa une petite grimace et haussa les épaules. Himmler conduisait avec audace et une parfaite maîtrise du volant. Il avait plusieurs fois passé ses vacances à Paris et parlait un français compréhensible, quoique sublimement détaché des règles de la grammaire. En passant, il désignait, comme un guide, les curiosités de la ville, les cafés qu’il avait fréquentés, un cabaret où il avait vu danser, complètement nue, une négresse américaine ; une rue dans laquelle, affirma-t-il, se trouvait le bordel le mieux équipé du monde entier. Himmler était le comédien-politicien de la compagnie, type commun à toutes les armées et favori de tous les officiers, ce qui lui permettait de prendre des libertés pour lesquelles d’autres hommes eussent été impitoyablement punis. Le lieutenant demeurait immobile et raide, près de Himmler, mais ses yeux se repaissaient avidement du spectacle des rues parisiennes. Deux fois, même, il rit des plaisanteries de Himmler.
La place de l’Opéra était pleine de troupes. Il y avait tant de soldats sur la grandiose esplanade, devant les hauts piliers et les larges marches de pierre, que l’absence des femmes et des civils au cœur de la cité était à peine perceptible.
Brandt entra dans un bât iment, l’air affairé, avec sa caméra et ses rouleaux de pellicule. Christian et le lieutenant descendirent et contemplèrent le dôme de l’Opéra.
– J’aurais dû déjà venir ici, dit doucement le lieutenant. Ce devait être merveilleux, en temps de paix.
– C’est exactement ce que je pensais, mon lieutenant, dit Christian en souriant.
Le rire du lieutenant était chaud, amical. Christian se demanda comment il se faisait qu’il ait toujours été intimidé par ce grand garçon plutôt simple.
Brandt jaillit du bât iment dans lequel il était entré.
– Fini, dit-il. Je n’ai pas à revenir avant demain après-midi. Ils sont enchantés, là-dedans. Je leur ai dit quel genre de photos j’avais prises, et c’est tout juste s’ils ne m’ont pas fait colonel sur-le-champ.
– Je me demandais, dit le lieutenant – sa voix était
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