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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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Allemagne. Elles étaient abstraites. Art non objectif, qu’ils appelaient ça. Décadent, disaient les Nazis.
    Brandt haussa les épaules.
    –  Je suppose que je suis un peu décadent. Pas aussi décadent que le lieutenant, mais suffisamment. Et vous ?
    –  Je suis un skieur décadent, affirma Christian.
    –  Chaque branche, énonça Brandt, selon sa propre décadence…
    La porte s’ouvrit, et la petite brune entra. Elle portait un peignoir rose, garni de plumes. Elle riait un peu, toute seule.
    –  Où est la patronne ? demanda-t-elle.
    –  Quelque part dans la maison, répondit Brand t. Puis -je vous être utile ?
    –  C’est à cause de votre lieutenant, dit la fille. Il veut quelque chose, mais je ne suis pas certaine de ce que c’est. Je crois qu’il veut être fouetté, mais j’ai peur de commencer avant d’en être sûre.
    –  Allez-y, dit Brandt. C’est exactement ce qu’il veut. C’est un vieux copain à moi.
    –  Vous en êtes sûr ?
    Elle les regardait alternativement, d’un air dubitatif.
    –  Absolument, dit Brandt.
    –  Bon.
    La fille haussa les épaules.
    –  Je vais essayer.
    Parvenue à la porte, elle se retourna.
    –  C’est un peu bizarre, dit-elle avec un soupçon d’ironie. Le soldat victorieux… le jour de la victoire… Un goût curieux, n’est-ce pas ?
    –  Nous sommes un peuple curieux, dit Brandt. Vous ne tarderez pas à vous en apercevoir. Faites votre boulot.
    Elle le regarda, furieuse, puis sourit et disparut.
    –  Vous avez compris ? demanda Brandt à Christian.
    –  Suffisamment.
    –  Buvons un verre.
    Brandt saisit la bouteille.
    –  J’ai répondu à l’appel de la patrie.
    –  Comment ?
    Christian le regarda, perplexe.
    –  La guerre allait commencer, et je peignais des paysages abstraits de la côte française, et j’attendais d’être naturalisé Français.
    Brandt ferma les yeux à demi, revoyant à travers son vin les jours troubles et incertains d’août 1939.
    –  Les Français sont le peuple le plus admirable de la terre. Ils mangent bien ; ils sont indépendants ; on peut y peindre n’im porte quelle sorte de peinture et personne ne vous ennuie ; ils ont derrière eux un passé militaire glorieux et ils savent qu’ils ne feront jamais plus rien de pareil. Ils sont raisonnables et avaricieux : un bon climat pour le développement de l’art. Et cependant, à la dernière minute, je suis devenu le caporal Brandt, dont les tableaux ne peuvent pas être exposés dans les galeries d’art allemandes. La voix du sang ou de je ne sais quoi. Et nous voilà à Paris, où les putains nous souhaitent la bienvenue. Je vais vous dire une bonne chose, Christian. Nous perdrons, en fin de compte. C’est trop immoral… les barbares de l’Elbe mangeant leurs saucisses sur les Champs-Élysées.
    –  Brandt, dit Christian, Brandt…
    –  L’aube d’une ère nouvelle, continua Brandt. La flagellation pour la Wehrmacht. Demain, j’irai manger une saucisse à l’Étoile.
    La porte se rouvrit et Himmler apparut. Il avait ôté sa veste ; le col de sa chemise bâillait, il souriait et portait sur son bras la robe verte dont la grande blonde avait été vêtue tout à l’heure.
    –  Au suivant, dit-il. La dame attend.
    –  Désirez-vous marcher sur les traces amoureuses du sergent Himmler ? demanda Brandt.
    –  Non, dit Christian.
    –  Vous n’êtes pas en cause, sergent, dit Brandt, mais nous préférons boire.
    Himmler les regarda, l’air morose, sa bonne humeur habituelle un instant estompée.
    –  J’ai fait vite, plaida-t-il. Je ne voulais pas faire attendre les copains.
    –  C’est gentil, dit Brandt. Très gentil de votre part. En la circonstance…
    –  Elle se défend, dit Himmler. Vous êtes sûrs que vous n’en voulez pas ?
    –  Tout à fait, répondit Christian.
    –  Très bien, dit Himmler. Je remonte pour le deuxième acte.
    –  Qu’avez-vous fait ? demanda Brandt. Vous lui avez arraché sa robe ?
    Himmler sourit.
    –  Je la lui ai achetée, dit-il. Neuf cents francs. Elle en voulait quinze cents. Je vais l’envoyer à ma femme. Elles ont à peu près la même taille. Touchez ça…
    Il la poussa devant Christian.
    –  De la vraie soie.
    Christian palpa gravement l’étoffe.
    –  De la vraie soie, approuva-t-il.
    –  Pas de regrets ?
    Himmler était à la porte et les regardait par-dessus son épaule.
    –  Merci quand même, dit Brandt.
    –  Très bien, dit

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