Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
Vom Netzwerk:
canons, sur d’autres continents, n’étaient plus qu’un vague « fond » musical de tambours et de bugles, dans le camp d’une autre armée, au sein d’une guerre invraisemblable.

7
     
     
     
    C HRISTIAN avait du mal à prêter attention au film. Un très bon film, d’ailleurs, au sujet d’un détachement de troupes en route du front de Russie vers le front de l’Ouest, en 1918, et stationné pour un jour à Berlin. Le lieutenant avait reçu des ordres formels de consigner ses hommes dans les locaux de la gare de départ, mais il comprenait à quel point ils avaient envie de revoir leurs femmes et leurs fiancées, après les féroces batailles qu’ils avaient livrées dans l’Est, et les fatales batailles qui leur restaient à livrer dans l’Ouest. Au risque du conseil de guerre ou du poteau d’exécution, il leur avait permis de se rendre dans leurs foyers. Si un seul d’entre eux manquait à sa parole et ne revenait pas à la gare pour l’heure du train, le lieutenant était perdu. Le film suivait les pérégrinations de ses hommes. Quelques-uns se saoulaient, d’autres étaient tentés par les Juifs et les défaitistes de rester à Berlin ; d’autres se laissaient presque persuader par leurs femmes, et la vie du lieutenant ne tenait qu’à un fil. Mais le dernier soldat revenait in extremis, au moment où le train s’ébranlait, et c’était une solide bande de camarades qui partait pour la France, après avoir pleinement justifié la confiance que leur avait accordée leur lieutenant. Le film était fort bien fait. Il démontrait habilement que la guerre n’avait pas été perdue par l’armée, mais par les traîtres et les poltrons de l’arrière, et il était plein de détails humoristiques et psychologiques.
    Même les soldats assis tout autour de Christian, dans le Soldatenkino, étaient émus par les acteurs qui jouaient des rôles de soldats, dans une guerre périmée. Le lieutenant, bien sûr, était un peu trop bon pour être vrai, et Christian n’en avait jamais rencontré de tels. « Ça ne ferait pas de mal au lieutenant Hardenburg, pensa-t-il amèrement, de voir ce film trois ou quatre fois. » Depuis l’unique jour de détente, dans le lupanar parisien, Hardenburg était devenu de plus en plus rigide. Leur régiment avait été transféré à Rennes. Ils avaient continué à y jouer un rôle passif de policemen, tandis que la guerre se déclenchait avec la Russie et que tous les contemporains de Hardenburg récoltaient des lauriers sur le front de l’Est.
    Hardenburg avait lu un matin qu’un garçon avec lequel il était allé à l’École des Officiers – et qu’ils appelaient « Le Bœuf » en raison de sa lenteur d’esprit – venait de gagner en Ukraine ses galons de lieutenant-colonel, et il avait failli exploser de fureur. Lui était toujours lieutenant, et, bien qu’il fût confortablement logé, dans un appartement de deux pièces d’un des plus beaux hôtels de la ville, bien qu’il ait un arrangement fort pratique avec deux femmes habitant au même étage, bien qu’il gagnât des sommes considérables en faisant chanter les trafiquants illicites de viande ou de produits laitiers, Hardenburg était inconsolable. « Et, pensa Christian avec désolation, un lieutenant inconsolable ne peut faire qu’un sergent malheureux. »
    Heureusement pour lui, Christian partait le lendemain en permission. Une semaine de plus à supporter sans la moindre interruption les sarcasmes tranchants du lieutenant l’eût certainement poussé à quelque acte dangereux d’insubordination. « Il sait que je pars demain matin pour l’Allemagne, par le train de sept heures, pensa-t-il, dégoûté, et ça ne l’a pas empêché de me mettre de service ce soir. » Une patrouille était prévue, à minuit, pour ramasser quelques jeunes Français réfractaires au Travail obligatoire en Allemagne, et Hardenburg n’avait pas désigné Stein, Himmler, ni aucun des autres, non ! Il avait arboré son mince sourire plein de méchanceté et lui avait dit :
    –  Je sais que vous n’y verrez pas d’objections, Diestl. Ça vous évitera de vous ennuyer, pour votre dernière soirée à Rennes. Vous n’avez pas à revenir au rapport avant minuit.
    Le film se termina sur une dernière image du jeune et beau lieutenant souriant d’un air tendre et pensif en regardant ses hommes enfin réunis, dans le train qui filait vers l’Ouest. Spontanément, les soldats

Weitere Kostenlose Bücher