Le Bal Des Maudits - T 1
Guerre, trouver un colonel qu’il connaissait, un homme qui avait travaillé avec lui, en Autriche, avant l’Anschluss, et lui demanderait de le faire transférer dans une autre unité plus active. Même s’il devait, pour cela, abandonner son grade…
Il consulta sa montre. Il avait encore vingt minutes avant l’heure du rapport. Un café était encore ouvert de l’autre côté de la rue, et il eut soudain envie de boire un verre.
Il ouvrit la porte. Installés à une table, quatre soldats buvaient du Champagne . Leurs visages étaient congestionnés et ils avaient déjà manifestement beaucoup bu. Leurs tuniques étaient déboutonnées. Deux d’entre eux avaient une barbe de trois ou quatre jours. Et du Champagne ! Ils ne le payaient certainement pas avec leur solde de simple soldat. Ils avaient probablement vendu aux Français des armes allemandes. Les Français ne s’en servaient pas, bien sûr, mais qui savait s’ils ne s’en serviraient pas un jour ? « Une armée de trafiquants de marché noir, pensa amèrement Christian, négociants en cuir et en munitions, et en fromage de Normandie, et eu vin, et en veaux. Qu’ils restent en France deux ou trois ans de plus et il serait impossible de les distinguer des Français, sauf par leur uniforme. La victoire subtile, insinuante de l’esprit gaulois. »
– Un vermouth, dit Christian au propriétaire, qui dansait nerveusement d’un pied sur l’autre, derrière son comptoir. Non… un brandy.
Il s’accouda au bar et regarda les quatre soldats. Le Champagne était probablement horrible. Brandt lui avait dit que les Français collaient n ’importe quelle étiquette prestigieuse sur n’importe quel misérable coupage. Les Allemands n’y connaissaient rien, et c’était la manière française de combattre, en mêlant, bien entendu, le profit au patriotisme.
Les quatre soldats se rendirent compte que Christian les observait. Leurs visages s’assombrirent, et ils baissèrent la voix. L’un d’eux passa sur ses joues barbues une main hésitante. Le tenancier servit Christian, qui, sans quitter des yeux les quatre soldats, se mit à déguster doucement son brandy. L’un des hommes sortit son portefeuille de sa poche pour une nouvelle bouteille de Champagne , et Christian vit qu’il était bourré de billets français. Seigneur ! était-ce pour ces gangsters douillets et avides d’argent que d’autres Allemands étaient en train de se jeter contre les lignes russes ? Était-ce pour ces boutiquiers flasques que les appareils de la Luftwaffe brûlaient au-dessus de Londres ?
– Vous, venez ici ! dit Christian à l’homme au portefeuille.
L’homme au portefeuille regarda pensivement ses camarades. Mais ils avaient les yeux baissés et contemplaient le vin dans leurs verres. L’homme se leva lentement et enfouit son portefeuille dans la poche de sa vareuse.
– Remuez-vous ! commanda sauvagement Christian. Venez ici !
L’homme se dirigea vers lui, le visage blême sous sa barbe.
– Garde-à-vous ! ordonna Christian.
Le soldat se raidit, plus effrayé que jamais.
– Comment vous appelez-vous ? demanda Christian.
– Soldat Hans Reuter, sergent, dit l’homme.
Christian sortit de sa propre poche un crayon et un morceau de papier, et nota le nom du soldat.
– Unité ? demanda-t-il.
L’homme avala péniblement sa salive.
– 14 7 e bataillon de pionniers, dit-i l.
Christian nota le numéro de l’unité .
– La prochaine fois que vous voudrez boire, soldat Reuter, dit Christian, vous vous raserez, et vous ne déboutonnerez pas votre tunique. Vous vous mettrez au garde-à-vous sans qu’il soit besoin de vous le dire, dès qu’un de vos supérieurs vous adressera la parole. Inutile de vous dire que je vais vous signaler .
– Oui, sergent.
– Repos.
Reuter soupira et regagna sa place.
– Vous tous, dit Christian d’un ton mordant, habillez-vous comme des soldats.
Les trois autres boutonnèrent leurs tuniques et gardèrent le silence.
Christian leur tourna le dos et regarda le propriétaire.
– La même chose, sergent ?
– Non.
Christian paya sa consommation, finit son verre et sortit sans regarder les quatre soldats.
Le lieutenant Hardenburg était assis dans la salle du rapport, avec sa casquette et ses gants. Il était assis très droit, comme sur un cheval, regardant à travers la pièce la carte de Russie éditée par le ministère de la Propagande et fraîchement mise à
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