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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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l’immeuble, et fronça les sourcils. « Des barbares, pensa-t-il. Faites d’un homme un policier et vous faites de lui un sadique. » Il faillit aller les retrouver et leur donner ordre de s’arrêter. Il se leva de son siège même, dans cette intention, et réfléchit. S’il se jetait dans les jambes d’un officier supérieur, il risquait tout simplement de remettre en cause le sort de sa permission.
    Il laissa une copie de son rapport sur le bureau de Hardenburg et quitta le bât iment. C’était une belle nuit d’automne, et les étoiles brillaient de tout leur éclat, au-dessus des vieilles toi tures. La cité paraissait plus belle, dans l’obscurité ; la place de l’hôtel de ville semblait harmonieuse et jolie sous la lune. « Ça pourrait être pire, pensa Christian en s’éloignant d’un bon pas ; je pourrais être encore plus mal tombé. »
    Il tourna dans la direction du fleuve et tira bientôt la sonnette de la maison de Corinne. La concierge sortit en grognant, mais garda, en le reconnaissant, un silence respectueux et rentra dans sa loge, chancelante, avachie et ensommeillée.
    Christian escalada les vieilles marches grinçantes et frappa à la porte de Corinne. La porte s’ouvrit aussitôt, comme si Corinne était restée debout pour l’attendre. Elle l’embrassa chaleureusement.
    Elle portait une chemise de nuit presque transparente, et ses lourds seins fermes étaient pleins de la tiédeur du lit.
    Corinne était la femme d’un caporal français qui avait été fait prisonnier, en 1940, non loin de Metz, et était à présent dans un camp de travailleurs, près de Kônigsberg. C’était une femme un peu forte, que Christian avait rencontrée dans un café, quelques mois auparavant. Elle lui avait paru, alors, séduisante et voluptueuse. C’était, en réalité, une femme aimante et facile à vivre, qui faisait l’amour placidement et sans imagination, et, de temps à autre, allongé près d’elle dans le grand lit du caporal absent, Christian se disait qu’il était inutile de venir aussi loin pour trouver quelque chose d’aussi peu nouveau. Il y avait, en Bavière et dans le Tyrol, cinq millions de paysannes exactement aussi grasses, aussi fermes, aussi passives. Les femmes de France tant vantées, les filles spirituelles, cinglantes, excitantes, qui faisaient battre les cœurs des hommes lorsqu’ils pensaient aux grands boulevards parisiens semblaient avoir toutes échappé à Christian. « Ah ! pensa-t-il, en s’asseyant sur la chaise de chêne sculpté, dans la chambre de Corinne, pour délacer ses lourds brodequins, ah ! je suppose qu’il faut être officier pour avoir droit à cette sorte de fille. » Il évoqua sa demande d’entrée à l’École des Cadres, perdue dans le labyrinthe des communications militaires, et dut cacher l’expression de vague dégoût qui envahit son visage lorsqu’il vit Corinne grimper dans le lit, ses larges fesses luisant comme de l’ivoire à la lueur de la lampe. Il ouvrit la fenêtre, bien que Corinne éprouvât l’habituelle horreur française pour l’air frais de la nuit. Lorsqu’il se glissa dans le lit, près d’elle, elle jeta sur les siennes une jambe charnue, avec un lourd soupir de grosse dame ôtant son corset, et Christian entendit, lointain, le bourdonnement conjugué de nombreux moteurs.
    –  Chéri… commença Corinne.
    –  Chut ! coupa Christian. Écoute.
    Ils écoutèrent la rumeur du retour de ces hommes , qui revenaient des cieux londoniens découpés en tranche par les faisceaux des projecteurs, infestés de saucisses et de chasseurs de nuit et criblés d’obus par la D. C. A. Corinne posa sur lui, à tâtons, une main lourdement experte, et Christian, une fois de plus, se sentit près des larmes, comme lorsqu’il avait vu, au cinéma, le soldat allemand tomber sur la terre russe. Il attira Corinne à lui, oubliant ce que le son des moteurs évoquait de glacial et de sanglant grâce à sa chair accueillante et miséricordieuse.
    Corinne se leva de bonne heure, le lendemain matin, pour lui servir son petit déjeuner. Il lui avait apporté du pain blanc qu’il s’était procuré à la boutique où étaient préparés les repas des officiers. Le café, évidemment, n’était que de l’ersatz, aqueux et vaguement amer. Corinne, ensommeillée et vêtue à la diable d’un ample peignoir, évoluait adroitement dans la cuisine obscure, les traits tirés, les cheveux en désordre, posant doucement

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