Le Bal Des Maudits - T 1
J’avais espéré pouvoir la lui remettre moi-même, mais la perspective d’une permission…
Il haussa les épaules.
– Et les relations postales…
Il secoua la tête.
– Tous les voleurs d’Allemagne doivent travailler dans les postes, grondât -il. Après la guerre, je veillerai à ce qu’une enquête soit faite, mais en attendant… si ça ne vous dérange pas trop… ma femme habite à proximité de la gare…
– J’en serai enchanté, dit Christian.
– Merci.
Hardenburg remit à Christian le petit paquet.
– Transmettez-lui toute mon affection.
Il sourit. Un sourire glacial.
– Vous pouvez même ajouter que je pense à elle constamment.
– Oui, mon lieutenant, dit Christian.
– Très bien… Au sujet de ces trois hommes…
Il désigna la feuille, sur son bureau.
– Je sais que je puis compter sur vous.
– Oui, mon lieutenant.
– J’ai reçu instructions qu’il pourrait être désirable de se montrer un peu… brutal, dans ce genre de choses, à partir de maintenant, dit Hardenburg. À titre d’exemple pour les autres, vous comprenez. Rien de sérieux, mais n’ayez pas peur d’élever la voix, un coup de revers de la main, si nécessaire, une exhibition d’armes à feu…
– Oui, mon lieutenant, dit Christian, pressant doucement le petit paquet, sentant, sous le papier, la consistance douce et molle de la dentelle.
– Ce sera tout, sergent.
Hardenburg se retourna vers la carte .
– Amusez-vous bien à Berlin.
– Merci, mon lieutenant.
Christian salua.
– Heil Hitler !
Mais Hardenburg était déjà perdu parmi les canons et les chars d’assaut, dans les plaines de Russie, sur la route de Smolensk, et ce fut à peine s’il leva la main lorsque Christian sortit, après avoir enfoui la dentelle dans sa tunique et l’avoir soigneusement boutonnée pour être sûr de ne pas perdre le petit paquet.
Les deux premiers hommes étaient cachés ensemble dans un garage désaffecté. Ils sourirent avec crânerie et résignation, à la vue des soldats et des fusils, et ne leur opposèrent aucune résistance.
Le milicien français les conduisit ensuite jusqu’à un faubourg misérable, à la limite de la ville. La maison sentait l’ail et la plomberie défectueuse. Le jeune garçon qu’ils arrachèrent à son lit se cramponna à sa mère, et tous deux poussèrent des clameurs hystériques. La mère mordit l’un des soldats. Il la frappa au ventre, et elle roula à terre, en hurlant » Un vieillard pleurait, les coudes sur la table, le visage enfoui dans les mains. C’était aussi désagréable que possible. Il y avait un autre homme, dans l’appartement. Ils le trouvèrent caché dans un placard. D’après ses traits, Christian le soupçonna d’être Juif. Ses papiers n’étaient pas en règle, et il était si effrayé qu’il n’arrivait pas à répondre aux questions qu’il lui posait. Christian fut tenté, un instant, de le laisser partir. Après tout, il n’avait été chargé que de ramener les trois réfractaires , non de ramasser les suspects qu’il pourrait rencontrer en chemin, et, si l’homme était réellement Juif, ce serait pour lui le camp de concentration et peut-être la mort. Mais le milicien le surveillait et ne cessait de murmurer : « C’est un Juif. Un Juif. » Il ne manquerait pas d’aller tout raconter à Hardenburg et Hardenburg serait capable de le faire rappeler au beau milieu de sa permission pour avoir négligé son devoir.
Il vaut mieux que vous valiez, dit-il, aussi aimablement que possible.
L’homme était tout habillé. Il avait dû dormir avec tous ses vêtements, comme s’il s’était tenu prêt à fuir à la moindre alerte. Il regarda la femme qui gisait sur le sol , l es mains au ventre, le vieillard qui pleurait, courbé au-dessus de la table, le crucifix qui pendait au-dessus du lit, comme s’il eût été sur le point de quitter son dernier foyer sur cette terre et que la mort l’eût attendu de l’autre côté de la porte. Il essaya de parler, mais ses lèvres s’agitèrent sans qu’aucun son n’en sortît.
Christian poussa un soupir de soulagement lorsqu’ils furent revenus au poste de la Feldgendarmerie et qu’il eut remis ses prisonniers à l’officier de garde. Il rédigea son rapport, assis au bureau de Hardenburg. Toute l’histoire n’avait pas demandé plus de trois heures. Pendant qu’il écrivait, il entendit un cri, dans une autre partie de
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