Le Bal Des Maudits - T 1
jeta ses bras autour de son cou.
– Tu ne peux pas nous faire ça à nous. Après tout ce que nous avons subi avec le colonel. Il va te faire nommer lieutenant.
– Major, dit Éloïse. Je croyais qu’il allait le faire nommer major !
– Lieutenant, dit M me Hardenburg avec dignité. Et il va te faire affecter ici, à l’état-major. Tout est arrangé.
– Il est fou de Gretchen, dit Éloïse. Il ferait n’importe quoi pour elle.
« Gretchen, pensa Christian. Elle s’appelle Gretchen. »
– Ce qui nous manque, c’est un verre, dit Gretchen. Chéri, nous avons marché au cognac, ce soir. Tu sais où est la réserve.
Elle paraissait, soudain, complètement dégrisée. Elle parlait lentement et distinctement. Elle repoussa les mèches folles qui erraient sur son front et se tint immobile au centre de la pièce, dans son magnifique manteau de fourrure et sa longue robe de soirée. Christian ne put empêcher son regard de trahir son désir.
– À la bonne heure…
Gretchen sourit brièvement et toucha, du bout des doigts, les lèvres de Christian.
– Voilà comment il faut regarder une femme. Le cognac, chéri.
« Ça ne fera pas de mal de boire un verre », pensa Christian. Il passa dans la pièce voisine, où se trouvait le placard aux bouteilles.
Il ouvrit les yeux. Le soleil inondait la pièce. Il tourna lentement la tête. Il était seul dans le lit saccagé. L’odeur du parfum lui fit avaler péniblement sa salive. Il avait soif. Il avait la migraine. La mémoire lui revint, par bouffées. Le manteau, les deux femmes, le colonel qui allait le faire nommer lieutenant, l’enchevêtrement des corps mouvants et parfumés… Il ferma les yeux. Douloureusement. Il avait souvent entendu parler de femmes comme ça et se souvenait des bruits qui avaient couru, à l’autre guerre, sur les mœurs dépravées de Berlin. Mais c’était différent quand ça vous arrivait à vous-même .
La porte de la salle de bains s’ouvrit. Gretchen entra. Elle était vêtue, de pied en cap, d’un tailleur noir, et un ruban de même couleur retenait ses cheveux en arrière. Ses yeux étaient clairs et brillants. Elle semblait fraîche et dispose dans le soleil matinal. Elle sourit à Christian et vint s’asseoir sur le bord du lit.
– Bonjour, dit-elle.
Sa voix était douce et réservée.
– Bonjour.
Christian parvint à sourire. L’invraisemblable netteté de Gretchen lui donnait l’impression d’être sale et malade.
– Où est l’autre jeune femme ?
– Éloïse ?
Gretchen lui caressa distraitement la main.
– Oh, elle est partie travailler. Tu lui plais beaucoup.
« Je lui plais beaucoup, pensa cyniquement Christian, et tu lui plais, comme lui plaisent n’importe quel homme ou n’importe quelle femme ou n’importe quel animal domestique sur lesquels elle puisse mettre la main. »
– Qu’est-ce que tu fais, déjà habillée ? marmotta-t-il .
– Il faut que j’aille travailler, moi aussi, dit Gretchen. Me prenais-tu pour une oisive ? ajoutât elle en souriant. Au beau milieu d’une guerre comme celle-ci.
– En quoi consiste ton travail ?
– Je suis au ministère de la Propagande.
Le visage de Gretchen devint très sérieux. Une expression que Christian ne lui connaissait pas encore.
– Division féminine.
Christian écarquilla les yeux.
– Et qu’y fais-tu ?
– Oh ! dit Gretchen, j’écris des textes de discours, je parle à la radio. Actuellement, nous sommes en train de mener une campagne. Tu serais surpris de savoir combien de jeunes filles allemandes couchent avec les étrangers.
– Quels étrangers ? s’informa Christian, perplexe.
– Ceux que nous importons pour travailler dans les usines, dans les fermes. Je ne suis pas supposée en parler, surtout aux soldats…
– Aucune importance, ricana Christian. Je n’ai pas d’illusions.
– Mais des bruits courent, et c’est mauvais pour le moral des hommes du front.
Elle parlait un peu comme une brillante élève récitant une leçon en vue de son prochain examen.
– Nous recevons souvent de longs rapports de Rosenberg, à ce sujet. C’est très important.
– Et qu’est-ce que vous leur racontez ?
Christian commençait à être réellement intéress é par ce nouvel aspect du caractère de Gretchen.
– Oh ! ce qu’on dit toujours.
Elle haussa les épaules.
– Il n’y a plus rien de nouveau à dire. La pureté du sang
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