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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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la peine de la reboucher. Christian leva son verre, et l’alcool coula dans sa gorge, ardent et clair. La femme vida le sien d’un seul trait.
    –  Ah, dit-elle. Ça, c’est vivre.
    Elle se pencha, reprit la bouteille, remplit les verres une seconde fois.
    –  Tu as mis si longtemps à arriver à Berlin, dit-elle en trinquant avec lui.
    –  J’étais idiot, dit Christian. Je ne savais pas ce que je perdais.
    Ils burent. Elle laissa tomber son verre sur le plancher. Puis elle leva les bras et l’attira sur elle.
    J’ai encore une heure, avant de partir, dit-elle.
    Plus tard, toujours au lit, ils finirent la bouteille, et Christian se leva et en trouva une autre, dans un placard abondamment garni de vodka russe et polonaise, de scotch capturé en 1940 au quartier général britannique, de Champagne et de cognac et de bourgogne, d’eau-de-vie diverses, de chartreuse, de vins d’Es pagne, de bénédictine et de bordeaux blancs. Il déboucha la bouteille de vodka et la posa sur le plancher, à portée de la main de M me  Hardenburg. Il se tint debout au-dessus d’elle, vacillant un peu, regardant le corps étendu, sauvage et mince, mais aux seins fermes et pleins. Elle le regarda gravement, les yeux à moitié soumis, à moitié rebelles. « Ce regard était ce qu’elle avait de plus excitant, » ne dit-il soudain. Et se laissant retomber sur le lit près d’elle, il pensa : « La guerre m’aura tout de même apporté quelque chose de bien. »
    –  Combien de temps vas-tu rester ? lui demanda-t-elle.
    –  Au lit ? demanda-t-il.
    Elle rit.
    –  À Berlin, sergent.
    –  Je… commença-t-il.
    Il allait lui répondre qu’il avait l’intention de rester une semaine et d’aller ensuite en Autriche.
    –  Deux semaines, dit-il.
    –  Bien, dit-elle rêveusement. Mais pas tout à fait assez bien.
    Elle lui passa légèrement la main sur le ventre.
    –  Peut-être vais-je parler à quelques-uns de mes bons amis, au ministère de la Guerre. Peut-être serait-ce une bonne idée de te faire affecter à Berlin ? Qu’en penses-tu ?
    –  Je pense que c’est une excellente idée, dit lentement Christian.
    –  Et, maintenant, nous allons boire un autre verre, dit-elle. S’il n’y avait pas eu la guerre…
    Sa voix dominait à peine le murmure de l’alcool coulant dans les verres.
    –  S’il n’y avait pas eu la guerre, je n’aurais jamais découvert la vodka.
    –  Ce soir, après minuit, dit-elle. D’accord ?
    –  Oui.
    –  Pas d’autre femme à Berlin ?
    –  Pas d’autre femme nulle part.
    –  Pauvre sergent. Pauvre sergent menteur. J’ai un lieutenant à Leipzig, un colonel en Libye, un capitaine à Abbeville, un autre capitaine à Prague, un major à Athènes, un brigadier général en Ukraine. Sans parler de mon mari, le lieutenant, à Rennes. Il a des goûts curieux, mon mari.
    –  Oui.
    –  J’ai des goûts curieux, moi aussi. Nous en reparlerons plus tard. Toi… toi, tu es très bien. Tu es énergique. Simple, mais énergique. Tu réponds. Tu promets et tu tiens… Ce soir, après minuit ?
    –  Oui.
    –  La guerre éparpille les amis d’une femme sur toute la surface de la terre. Tu es le premier sergent que je connaisse. Fier ?
    –  Ridiculement.
    Elle s’esclaffa.
    –  Je sors ce soir avec un colonel, qui va me donner un manteau de zibeline qu’il a rapporté de Russie. Quelle tête ferait-il si je lui disais que je vais retrouver à la maison un simple petit sergent ?
    –  Ne lui dis pas.
    –  J’y ferai allusion. C’est tout. Une petite allusion. Après que le manteau sera sur mon dos . Une sale petite allusion. Je crois que je vais te faire nommer lieutenant. Un homme possédant tes capacités…
    Elle s’esclaffa encore.
    –  Tu ris ? Je peux le faire. C’est la chose la plus facile qui soit au monde. Buvons au lieutenant Diestl.
    Ils burent au lieutenant Diestl.
    –  Que vas-tu faire, cet après-midi ? demanda la femme.
    –  Rien de particulier, dit Christian. Faire un tour, attendre minuit.
    –  Temps perdu. Achète-moi un petit cadeau.
    Elle sortit du lit, s’approcha de la table où ell e avait jeté la dentelle, la drapa sur sa tête.
    –  Une petite épingle, dit-elle en réunissant la dentelle entre ses seins, une petite broche pour mettre ici, n’est-ce pas ?
    –  Oui.
    –  Il y a une boutique merveilleuse, dans la Tauentzienstrasse, au coin du Kurfürstendamm. Ils ont une petite broche qui ferait

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