Le Bal Des Maudits - T 2
Michael avait franchement peur ; et la femme qui l’avait calmement invité, du regard, dans la 11 e Rue ; et l ’infirmière aux larges hanches, le jour où son frère s’était cassé la jambe, et…
Michael revoyait désespérément tous ces corps féminins offerts et refusés, et serrait les dents sous sa toile de tente et se lamentait sur sa délicatesse idiote des jours passés. « Ignorant, pensait-il, ô, pompeux ignorant ! »
Et les femmes avec lesquelles il avait couché, et ensuite négligées – Katherine, Rachel, Faith, Elizabeth – toutes les chères heures de plaisir perdues, impossibles à redécouvrir. Il gémit et secoua son sac avec une fureur homicide.
Après tout, finit-il par se faire observer, il y en avait un certain nombre qu’il n’avait pas refusées. En fait, lorsqu’il regardait en arrière, il était vaguement honteux que celles-ci fussent aussi nombreuses, mais il était content de n’avoir pas eu honte, alors, et de ne pas avoir reculé.
Et pourtant, lorsqu’il reviendrait – s’il revenait, – il était décidé à changer. Cette partie de sa vie était révolue. À présent, il voulait une vie décente, ordonnée, bien organisée, fidèle, digne d’être vécue. Margaret !… Il y avait longtemps qu’il évitait de penser à Margaret. Et maintenant, au fond du trou humide, sous la pluie d’acier qui s’abattait alentour, il ne pouvait plus s’empêcher de penser à elle. « Demain, pensa-t-il, je lui écrirai demain. Je me fous de ce qu’elle fait actuellement. Quand je reviendrai, nous nous marierons. » Il se convainquit rapidement que Margaret retrouverait aussitôt son vieil amour pour lui, qu’il l’épouserait, qu’ils loueraient un appartement ensoleille, qu’il aurait des enfants et qu’il travaillerait dur. Qu’il cesserait de gâcher sa vie. Abandonner le théâtre, peut-être. S’il n’avait encore rien fait de formidable dans le théâtre, il ne ferait sans doute jamais rien. La politique, peut-être ? Il était peut-être doué pour la politique. Faire quelque chose d’utile, enfin pour lui-même, pour les pauvres diables qui mouraient ce soir sur le front, pour les vieillards qui gisaient sur la paille, dans l’église de Caen, pour le Canadien dégoûté de l’armée, pour le capitaine moustachu qui avait rugi, derrière son joueur de cornemuse : « Belle journée, n’est-ce pas ? », pour la petite fille qui avait demandé des sardines… Pour un monde où le plus grand commun dénominateur ne serait pas la mort, un monde dans lequel on ne vivrait pas parmi les cimetières envahissants, un monde qui ne serait pas gouverné, en fin de compte, par le sergent enregistreur des décès.
Et cependant, s’il voulait être écouté plus tard, il fallait qu’il en gagne le droit. Il ne fallait pas qu’il passe toute la guerre au volant de la Jeep d’un colonel des Affaires civiles. Seuls auraient le droit de parler les hommes qui seraient revenus du front, du vrai front, avec la certitude d’avoir payé pour leurs opinions et de les posséder, irrévocablement, une fois pour toutes…
« Il faut que je demande à Pavone, pensa Michael dans une demi-somnolence, il faut que je lui demande de me faire transférer. Demain. Et prévenir Margaret, pour qu’elle sache, pour qu’elle se prépare… »
Les canons cessèrent de tirer, et les avions regagnèrent les lignes allemandes. Michael repoussa son sac et son casque. « Mon Dieu ! pensait-il, mon Dieu ! combien de temps tout cela va-t-il durer ? »
Puis l’homme de garde qu’il devait relever fourra sa tête sous la toile de tente et tira Michael par les pieds.
– Debout, Whitacre, dit l’homme de garde. À ton tour de te balader.
– O. K., O. K., dit Michael en repoussant ses couvertures.
Il frissonna, enfila rapidement ses souliers. Il endossa sa capote, ramassa son fusil et, tremblant, sortit de sous sa tente. Il pleuvait. Une petite pluie fine, pénétrante. Michael s’empara de son imperméable, l’endossa. Puis il rejoignit l’homme de garde qui, accoudé au capot d’une Jeep, bavardait avec une autre sentinelle et dit :
– O. K., va dormir.
Il s’appuya contre la Jeep, près de l’autre sentinelle. La pluie s’infiltrait sous son col et roulait sur son visage. Il se remémorait toutes les femmes auxquelles il avait pensé pendant le raid ; il se remémorait Margaret et tentait de composer, mentalement, une lettre si émouvante, si
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