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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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d’aimer autant un Grec bigle qui avait été cuisinier, jadis, dans un « plats préparés », de Scranton, Pennsylvanie. Œufs et jambon, saucisses chaudes, légumes en conserve. C’était du sang en conserve, maintenant. Il s’appelait Markos Ackerman, d’Odessa, et Markos, d’Athènes, réunis par un tube de sang conservé, quelque part en Normandie, non loin des ruines de Saint-Lô… par un jour d’été… sous les yeux d’un fermier d’Iowa, nommé Burnecker, et qui pleurait, pleurait…
    –  Noah, Noah, sanglotait l’enfant d’Iowa, comment vas-tu, Noah ? Comment te sens-tu ?
    Noah crut qu’il souriait à Johnny Burnecker, mais, au bout d’un instant, il s’aperçut qu’il était incapable, malgré tous ses efforts, de faire se mouvoir les traits de son visage. Et il faisait terriblement froid, trop froid pour la saison, trop froid pour le début de l’après-midi, trop froid pour cette région de la France, trop froid pour juillet, trop froid pour son âge…
    –  Johnny, parvint-il à chuchoter. T’inquiète pas, Johnny. Fais bien attention à toi. Je reviendrai, Johnny, je te jure que je reviendrai…
    La guerre avait pris une tournure bizarre. Plus de jurons ni de menaces. Plus de Rickett, parce que Rickett était mort dans ses bras, en le couvrant de sang de sergent. À présent, c’était le petit cuisinier bigle, aux mains et à la voix douces, aussi doux que Jésus-Christ, un Christ bigle et moustachu, avec un étrange nom grec, et c’était le visage triste et maigre du général, qui gagnait sa solde en se promenant sous le feu de l’ennemi, avec un petit bâton à la main, un général au visage tragique et impérieux, dont la voix n’était pas impérieuse, pourtant, et auquel il était impossible de refuser quoi que ce soit ; et c’était le chagrin de son frère Johnny Burnecker, qu’il avait promis de ne pas abandonner, parce qu’ils s’entre-portaient bonheur et qu’ils vivraient, tous les deux, même si toute la compagnie mourait, comme elle mourrait évidemment, parce qu’ils avaient encore devant eux tant de champs à traverser, tant de haies à franchir. L’armée se transformait, s’était transformée, graduellement, brusquement, en un tourbillon rugissant de tubes et de garrots, de morphine et de larmes.
    Ils déposèrent Noah sur une civière et s’éloignèrent avec lui. Noah leva la tête. Assis sur le sol, sans son casque, perdu dans son chagrin, Johnny Burnecker pleurait sur son ami blessé. Noah essaya de l’appeler, pour lui dire que tout irait bien, qu’ils se retrouveraient bientôt, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Il laissa retomber sa tête et ferma les yeux, parce qu’il ne pouvait plus supporter la vision de son ami abandonné.

31
     
     
     
    LES chevaux morts commençaient à se putréfier sous le soleil d’été et dégageaient une odeur épouvantable, qui se mêlait à la senteur âcre, médicinale, du convoi d’ambulances détruit, amas sans nom de véhicules retournés, d’antiseptiques répandus, de papiers épars, de croix rouges inutiles. Les blessés et les morts avaient été évacués, mais le convoi était demeuré, sur la colline, tel que les mitrailleuses et les attaques en piqué des avions américains l’avaient laissé.
    Christian le dépassa lentement, à pied, son Schmeisser toujours sur l’épaule, avec un groupe d’une vingtaine d’hommes dont aucun ne lui était connu. Il les avait ramassés dans la matinée, après que le peloton hâtivement organisé auquel on l’avait affecté trois jours plus tôt l’eut abandonné au cours de la nuit. Il était sûr qu’ils avaient tous déserté pour aller se rendre aux Américains et ressentait une sorte des ombre soulagement à la pensée qu’il n’était plus responsable d’eux ni de leurs actes.
    En regardant le convoi massacré, tristement marqué de croix rouges qui n’avaient servi absolument à rien, il se sentit envahi par un curieux mélange de colère et de désespoir. Colère envers les jeunes Américains qui étaient arrivés, à sept ou huit cents kilomètres à l’heure, au-dessus des lentes charrettes chargées de blessés et de moribonds et, dans leur sadisme destructeur, les avaient arrosées d’obus et de balles de mitrailleuses.
    Les hommes qui l’entouraient, il était facile de s’en rendre compte, ne partageaient nullement sa colère. Il ne leur restait que leur désespoir. Et tandis que, les yeux injectés de sang,

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